Grenoble
Après ce dernier moto-trip épique à Tombouctou, je décide que mes vacances sont finies et je rentre en France, à la recherche d’un nouveau contrat. Je commence toutefois mon séjour par une visite, à Grenoble, au président du club des anciens élèves de l’Institut Polytechnique de Grenoble, mon ancienne école d’ingénieur, susceptible d’avoir des offres d’emploi à me proposer. Je me pointe, à l’adresse indiquée, un immeuble haussmannien, vieux et noir dont on a manifestement oublié de sabler la façade! Un de ces ascenceurs ancestraux, qui forcent mon admiration, voire mon respect: une belle réalisation de la technologie du siècle précédent: une cage en fer forgé repeinte à neuf, une porte à volets vitrés coulissants, des boutons en nacre, et une ascenssion à vitesse modérée. Il est vrai que l’on n’est pas exactement dans la tour Montparnasse. Mais quel progrès que celui qui nous permet de nous élever, bien plus haut que les baobabs des peuples primitifs, sans avoir à risquer nos vies.
Quoique: plus jeune, angoissé je demandais à M’man, que se passerait-il si l’ascenceur oubliait de s’arrêter au dernier étage? Chaque fois que nous rendions visite à sa maman, rue Saint Sulpice, à deux pas de la grande église du même métal. Texto!
Dring, dring: un homme très agé, avec qui j’avais pris rendez vous, m’ouvre sa porte à deux battants, hauts et larges, et m’invite à rentrer dans son appartement: parquets en bois ciré, qu’on est censé parcourir en glissant sur une paire de patins soyeux, plafonds très hauts bordés de stuck, tentures lourdes, entretenant dans la journée une semie pénombre. Je pense, en moi même, qu’on ne doit pas les ouvrir tous les jours…mais qu’ils offrent sans doute l’avantage d’atténuer les bruits extérieurs.
Le président est affable et courtois, soucieux de me rendre service, je n’en doute pas, mais navré de me dire qu’il n’a pas la moindre annonce dans ses fiches en bristol, soigneusement rangées par ordre alphabétique dans un coffret en bois.
Manifestement Bill Gates, Steve Jobs, Marc Zuckerberg et les autres n’étaient pas encore sortis de leurs garages. Mais ils y travaillaient!
Toutefois le Président me conseille d’aller voir chez Sogreah, un bureau d’études international, une référence et une préférence chez les ingénieurs hydrauliciens, en raison de son prestige et de sa proximité des pistes de ski, si fréquentées pendant nos chères études.
Ce que je fis immédiatement, au prix d’un ticket de bus.
Et ce petit trajet allait changer ma vie pendant quatre ans, et m’ouvrir les yeux sur bien des horizons.
A la lecture de mon Curriculum Vitae, ma légende de vie, Michel Imberbe se déclare très intéressé.
Lors d’un entretien d’embauche, il faut mieux entendre ça que d’être sourd! Mais voilà, s’il n’a rien de concret pour le moment, par contre il se propose de joindre mon CV à une offre, qu’il rédige depuis quelques jours, à l’intention du Royaume du Maroc, pour l’alimentation en eau potable de 450 villages.
Waouh!, me dis-je, et j’accepte sans chichis. Le CV de l’expert conseiller technique principal est la pièce maîtresse de l’offre technique et financière de Sogreah, qui devra obtenir l’aval de l’ONEP, l’Office National de l’Eau potable du Maroc, puis l’aval du Bailleur de fonds, notre chère Union Européenne, qui finance le projet! Toutes ces explications me réjouissent, et me laisse entrevoir une vie de Nabab, au Royaume de sa Majesté Mohammed VI.
Un argument de taille dans mon CV est aussi que 30 ans auparavant, j’avais travaillé à l’ONEP, alors quelle n’existait pas encore!
On dirait de la mécanique quantique, comment peut-on travailler dans un organisme qui n’existe pas?
Mais, comme le ferait remarquer Einstein, l’ONEP était, d’ores et déjà, inscrite en devenir dans le champ unifié des potentialités, le fameux CUP de la mécanique quantique! Juste qu’en 1968, on ne le savait pas encore ! L’organisme dans lequel j’effectuais à l’époque ma coopération militaire s’appelait la Régie des Exploitation Industrielles, en abrégé la REI.
Ainsi partant de la REI, et émergeant du CUP, l’ONEP était née un jour de 1972, soit deux ans après mon départ du Maroc. Avec l’avantage que, le même jour les archives de la REI avaient été jetées au panier. J’avais donc une vraie référence, que personne ne pourrait contester. Ouf!
Donc, c’était convenu avec Michel Imberbe. S’il gagnait l’appel d’offres, je retournais au Maroc. Mais il fallait que je sois patient car la procédure pouvait être longue. Un an au minimum. Et il fallait gagner l’A.O., c.a.d. être meilleur qu’une kirielle de bureau d’études concurrents.
Alors ça va pas le faire tout de suite. Et en attendant il faut que je trouve autre chose.
Je monte donc à Paris prêt à contacter des bureaux d’études, des bailleurs de fonds, des ONGs. J’ai donc des contacts variés avec l’AICF: l’Agence internationale contre la faim, ISF: Ingénieurs sans frontières, Save the children, Première urgence..etc.
Rien de folichon.
Et soudain, avant d’entrer dans une salle de cinéma, le sigle BCEOM me vient à l’esprit: le Bureau Central d’Etudes pour les Equipements d’Outre-mer. Je rentre dans un cyber café, trouve leur adresse, et leur numéro de phone. Je les appelle, une standardiste me passe un chef de service auquel je raconte ma petite histoire. Et au lieu de me dire d’envoyer un Cv il me demande de venir tout de suite au siège, à Guyancourt. Ça me plait bien. Mais avec un blue-jean mauve, un Tshirt jaune, et des converses rouges aux pieds, je n’ai pas la tenue ordinaire d’un ingénieur à la recherche d’un job. Peu importe! Je descends du taxi, au pied d’une tour où souffle un vent d’enfer. Je pousse péniblement la porte en verre, et m’insère dans le rez de chaussée. Plusieurs secrétaires rigolent devant mon accoutrement et mes cheveux en pétard, et on me conduit au chef du « département étranger du BCEOM ».
Je parle, je parle et je parle encore de moi, j’adore ça, jusqu’à ce que mon auditeur m’interrompe:
« J’ai deux postes de chef de mission à vous proposer, un à Dakha capitale du Bengladesh, l’autre à Douala au Cameroun. »
Faites votre choix!
J’irai bien à Dakha, « but my english is poor », alors je choisi Douala, où l’on parle français; je suis content de retourner en Afrique, quoique un peu inquiet, vu mes récentes actions au Mali!
Douala n’est qu’à deux heures de vol, direct, de Bamako.
Le chef de service me propose une mission de deux ans avec des honoraires très corrects, et les avantages habituels.
Ça démarre tout de suite, alors « laissez moi votre passeport nous allons vous obtenir un visa rapidement ». J’indique que je vais me rendre au Cameroun avec ma femme Bintou, et on m’assure, bien sûr que nos deux billets seront pris en charge par le BCEOM. A mon arrivée, il est prévu deux semaines au meilleur hôtel de Yaoundé, « le mont Fébé ». Je serai acceuilli à l’aéroport par le responsable du BCEOM pour le Cameroun. Pour mon billet, je demande une escale au Niger, avec un stop-over de 48 heures pour y récupérer Bintou.
Nous signons le contrat et je sors du BCEOM avec mon exemplaire plié en quatre dans la poche arrière de mon B.jean.
Tout va bien, je peux enfin descendre à Hyères sur la cote d’azur pour une semaine afin d’y revoir M’man et mon frère Olivier. Mon deuxième frangin, Pascal, étant en Chine depuis plusieurs années.
Olivier, comme d’habitude, nous invite à un repas somptueux préparé par son épouse, et arrosé des meilleurs rosés de Provence!
Olivier est un patron social, il offre tous les ans, pour les étrennes de fin d’année:
– une sortie conjointe avec ses employés, hors de leur zone de confort, par exemple deux heures de pilotage de Quad, tous ensemble, sur un circuit de type enduro, dans les collines de l’esterel.
– sortie suivie d’un excellent repas bien arrosé, le réveillon de l’entreprise dans un des meilleurs restaurants de la région.
– une caisse de bouteilles de champagne de marque livrée au domicile de chacun.
Pas mal non? je ne sais pas si les membres du CNPF, Conseil national du patronat français, en font autant!
Durant mon séjour à Hyères, étant en train de boire seul un dernier verre alors que la pizzeria est en train de fermer, je remarque un dernier buveur à l’autre bout du comptoir qui me regarde fixement, de loin, pendant un long moment. Après il se détourne, paye et s’en va. Je trouve son insistance étrange, elle me renvoie illico à ma psychose!
Puis le moment du départ arrivant toujours trop vite, je remonte à Paris pour récupérer mon passeport avec le visa et les billets d’avion. A Niamey, je récupère Bintou, qui avait pendant mon absence, rejoint sa mère à Kollo Djerma, un petit village au bord du fleuve, situé à une quarantaine de kilomètres de la capitale.
Je liquide ma location, (la villa louée pour quelques mois à Niamey près du palais des congrès), et je n’emporte avec moi comme bagages que le strict nécessaire. Et j’engage Bintou à faire de même.
Tout ça n’a plus d’importance, avec mon nouvel empoyeur, une nouvelle vie commence, dans un nouveau pays.
Banzaï!
Le départ avec le passage à la douane s’effectue sans encombre, quoiqu’avec une certaine inquiétude.
Notre vol prévoit une escale à Bamako, j’espère que tout se passera pour le mieux, sans inspecteur de police au milieu!.
Dans la cabine, je surprend une conversation entre deux passagers assis deux rangées devant la nôtre.Il s’agit de voyages fréquents dans de multiples pays. J’ai envie de parler avec eux, un siège est libre où je m’asseois. Pour ne pas étre de reste avec eux, je parle également de mes multiples voyages spécialement en Afrique, mais aussi à l’autre bout du monde, à Tahiti. Après pour répondre à leur curiosité je parle de moi, j’adore ça, et j’étale mon métier. OK, c’est sympa, on échange sur l’Afrique en général et en particulier. D’ailleurs, au fait, de quelle nationalité êtes vous? Un nigérien, un malien. Et quel sont vos métiers qui vous font tant voyager? La question paraît les géner et après une petite pose » nous travaillons dans le monde du football »!
Bingo! Football, Mali, ça me renvoie sur le champ à Karunga Keita, le propriétaire de la villa que je louais au Mali: il est le président du meilleur club de foot du Mali, le club Djolliba. Et ça me renvoie aussi à son ami, mon voisin, le Directeur National de la Fédération de foot du Mali.
Amina et Marie
….dont j’avais fréquenté et apprécié les deux filles, Amina et Marie à Bamako, pendant que Bintou était retournée pour un temps chez ses parents. A peine Bintou partie, Amina avait sonné à la porte du jardin, me déclarant d’entrée qu’elle voulait faire la connaissance de son voisin, c’est à dire moi même. Je m’en souviens comme si c’était hier! Elle était une fort belle jeune fille. Je lui propose un bain dans la piscine, mais n’ayant pas son maillot, elle préfère que je lui fasse visiter la villa.
Dominant la piscine, à une extrémité, un petit salon très luxueux conçu à l’usage exclusif du chef de famille. Murs en verre teintés, moquette moelleuse sur le sol, fauteuil en cuir noir confortable, guéridon mauritanien, laqué noir également et serti de fines parcelles de nacre, climatisation, télévision, téléphone fixe et chaîne hifi! J’en passe et des meilleurs. La visite continue, nous traversons le petit night club personnel de Karounga, subtilement décoré de niches creusées dans les murs, et revêtues de moquette rouge cramoisie mettant en valeur, de jolies pièces d’art malien; et sur le mur du fond un magnifique « bogolan » fait de bois incruste d’ivoire, et représentant un berger avec son chapeau en pyramide, traditionnel, et quelques brebis sur un fond de dunes.
Ensuite on traverse le grand salon principal, vide, laissé à l’abandon, si ce n’est un vieux congélateur, fonctionnant en permanence pour conserver quoi? Une carcasse entière de mouton, qui doit être là depuis le dernier ramadan!
La visite se termine inmanquablement par la chambre à coucher principale, puisque chez les africains, c’est toujours la pièce la plus reculée où personne n’est autorisé à rentrer si ce n’est le couple princier, je veux dire les propriétaires. Et là sur le lit, je deviens soudain animal, animal, animal. Et elle aussi, animale, animale, animale, nous voilà donc, tous les deux, animaux, animaux, animaux…..
Mon dieu, que ça fait du bien, un quiky comme ça. Voilà l’ambiance est détendue.
On pourrait sans doute bavarder un peu, élaborer des projets d’avenir…mais voilà, Amina préfère rentrer chez ses parents, elle doit être contente d’avoir mené à bien présentement son projet de me séduire, et c’est vrai, qu’en me montrant ce qu’on cache d’habitude, (sauf à sa maman ou à son amant), elle m’avait vraiment séduit! Mais, maintenant, elle ne veut pas que ses parents s’inquiètent. Les pauvres s’il savaient!…
Nous nous sommes revus plusieurs fois, notemment un soir alors que j’avais invité le directeur d’un bureau d’études allemand, qui voulait m’entretenir d’une mission « extraordinaire » qu’il envisageait de me confier, à la fin de mon présent contrat.
La cuisinière nous avait préparé un excellent méchoui, accompagné d’une bonne bouteille de rosé de Provence. Et cerise sur le gâteau, un jeune musicien, sept ans à peine, fils de mon voisin et ami, nous régalait de sa douce musique, qu’il tirait d’une Kora ajustée à sa taille. Tout jeune, et déjà virtuose, il possédait déjà de la Kora les secrets transmis par son père Amadou Toumani Keita, le meilleur joueur de Kora du monde, mon voisin!
Installés sur la terrasse en marbre, à l’extrémité de la piscine d’un bleu profond et lumineux, avec le joli sourire d’Amina, qui mettait un point d’honneur à faire le service, et à partager notre repas, avec ses réparties incompréhensibles (elle parlait trop vite, bousculant les mots avec toute la fougue de sa jeunesse), et la belle musique du fils d’Amadou Toumani Keita, mon invité et moi, accumulant les verres de rosé, ….nous étions des pachas au palais des mille et une nuits!
Le projet « extraordinaire » consistait en la réalisation d’un programme d’alimentation en eau potable de 150 villages riverains du fleuve Niger, dans le Macina, entre Ségou, Mopti, Tombouctou et Gao.
Il était prévu de travailler avec l’ethnie Bozzo, traditionnellement seule à trafiquer sur le fleuve: leurs très grandes pirogues, leurs connaissances du fleuve, des villages et des villageois nous seraient très utiles. Bien sûr une pirogue serait aménagée, pour le chef de mission, avec un mariage du traditionnel et du moderne….et là, je commençais à réver.
De tribus, de gazelles sauvages:
« Je rêvais d’une mission étrangère,
D’une mission de filles et de bières,
Je voulais vivre d’une autre manière
dans un monde de feux.
Le soleil sur les flots du Niger, je ne pouvais trouver mieux.
Je rèvais dans les villes de pierres,
Je voulais trouver mieux
J’ai la force qu’il faut pour le faire et j’irai trouver mieux
Je voulais trouver mieux que mes copains austères
et que leurs 4×4 plantés au milieu,
Trouver enfin la douce lumière le soir près du feu
Qui réchaufferait mes soeurs, et des troupes entières de gens joyeux
Les projets entre murs de poussiéres
Je voulais trouver mieux.
Et j’allais trouver mieux,
Et j’ai fait tout le tour de la terre, et j’ai même demandé à Dieu,
J’ai la force qu’il faut pour le faire
Er j’allais trouver mieux
J’allais faire tout l’amour de la terre,
Je ne pouvais trouver mieux
J’allais croiser les rois de naguère, tout drappés de diamants et de feu.
Et dans les bateaux des rois de naguère
Je saurais trouver mieux.
Mais, plus tard, après mon départ précipité du Mali, mon invité d’un soir, m’a appelé en France, pour me dire qu’il n’était plus question de présenter ma candidature sur ce projet!
« Maintenant je retourne en arrière, je n’ai pas trouvé ce que je veux
Maintenant je retourne en arrière, je me suis brûlé les yeux
Je me suis brûlé les yeux, sur mes chantiers véreux, et sur mon 4×4 planté au milieu,
Au reflet de mon compte banquaire,
Qui réchauffait mes soeurs et la troupe entière des gens joyeux
Au soleil, sur mon compte banquaire,
Je me suis brûlé les yeux, brûlé les yeux… »
D’aprés Francis Cabrel
Mais revenons à Amina.
Je concevais très bien que leur pére pourrait me tenir rigueur, de ma liaison avec sa fille, s’il l’apprenait. D’ailleurs Marie, sa jeune soeur, à laquelle j’avais aussi aussi rendu les honneurs un peu plus tard, me l’avait bien dit:
– Xavier, il ne faut plus recommencer.
– Ah, oui pourquoi?
– ils m’ont expliqué hier
– Qui ça ils?
– ???
Son téléphone sonne. Elle parle en Zerma!
Je n’y comprend rien. Puis:
– si tu veux, tu peux me caresser la poitrine, cinq minutes.
– en moi même, « juste le temps pour simuler un viol » (on m’avait déjà fait le coup au Sénégal).
Ça sert à rien, mais je le fais quand même.
Tout ça sent l’embrouille. La machination. La psychose….Je lui refile son billet rouge et je me casse, ni rassuré, ni content!
A ma sortie,seul, plusieurs miltaires, déjà présents à notre arrivée, immobiles, m’observent. Futurs témoins a charge?
Machination infâme de l’Organisation?
Retour dans l’avion
Et maintenant, quelle coïncidence que cette rencontre avec deux footeux, ce soir dans cet avion!
Notre conversation dure encore un peu, puis je m’en retourne perplexe à mon siège.
Peu après à l’escale de Bamako, le malien descend mais le nigérien poursuit jusqu’à Yaoundé, la capitale du Cameroun.
D’autre part, un africain vétu d’une djellabah blanche retient mon attention, car alors que je sors pour prendre l’air, sur la passerelle par laquelle les voyageurs sont descendus, il passe la tête par la porte, me fixe sans vergogne et retourne à sa place. Un contrôle pour vérifier que je ne suis pas descendu à Bamako?
Arrivée à Douala: après les formalités de police, de santé et de douane, un chauffeur nous attend, Bintou et moi, dans la salle de débarquement. Il est minuit, et il nous conduit directement à l’hôtel internationnal du Mont Fébé, à l’approche duquel les drapeaux multicolores des pays africains, et de l’Union Européenne, flottent au vent. Il doit y avoir une conférence dans l’air. Bref ce n’est pas notre problème, allons presto dormir.
Le lendemain, dimanche, Armand, le représendant du BCEOM, mon nouvel employeur passe me prendre pour me faire un topo, au bureau, du programme de visites et de présentations qui m’attend dès le lendemain matin! Il me montre le bureau qu’il a réservé pour moi, pour la courte période que je dois passer à Yaoundé, en vue dévelloper et consolider les contacts professionnels nécessaires au bon démarrage de ma mission.
Il me décrit aussi la situation générale à Douala. C’est une ville dangereuse, surtout la nuit. Alors là, je lui fais comprendre que depuis X années que je travaille en Afrique, je sais comment faire pour éviter les problèmes.
Le lendemain matin, légèrement vêtu, mais encravaté avec un joli blazzer bleu clair, acheté à Paris, notre première visite est pour l’Agence Française de Dèveloppement (AFD).
En fait, je ne suis pas tout à fait à l’aise, car l’AFD, est aussi le bailleur de fonds du programme du Mali que je viens de quitter il y a quelques mois, dans les conditions que l’on sait.
L’AFD qui nous informe d’un léger problème: le financement total du programme n’est pas encore totalement acquis; néanmoins ce programme de restauration et d’extension de l’alimentation en eau potable, dans tout le pays, doit démarrer sans attendre de manière à mettre fin, le plus tôt posible, aux fréquentes coupures survenues, partout lors de la dernière saison sèche.
La prochaine réunion sera pour me présenter au DG de la SNEC, Société Nationale des Eaux du Cameroun, maître d’oeuvre du programme, dont je serai le conseiller technique, également chef de la mission de suivi et de contrôle des travaux.
Super, voilà un job qui va me situer à un bon niveau social et technique!
Mais nous devons avant tout nous rendre à Douala où est établi le siège de la SNEC.
Trois heures de route, très prudentes, à cause des grûmiers qui déboulent à toute allure, avec leur énormes tronc d’arbre monté en chassis derrière le « tracteur » (la cabine du chauffeur). Ses camions sont responsables de nombre d’accidents parfois mortels, car pas toujours maîtrisés, et parfois emportés par la force centrifuge dans les courbes prises à toute allure.
Donc le lendemain, notre journée comprendra six heures de route plus trois heures de présentations et discussions.
Devant le bel immeuble de la SNEC, un jet d’eau décoratif, au centre d’une aire engazonnée.
Tous les entretiens se déroulent à merveille, au niveau de la direction générale. Il faut dire qu’avec Armand nous avions pris le temps de les préparer soigneusement.
Ces débuts de programmes sont toujours extraordinaires. Des portes qui s’ouvrent dans un monde nouveau, et ceci sous de bons hospices car tous les intervenants ont envie, ont besoin, que ça marche! Il ne peut en être autrement, et il convient donc pour chacun de favoriser un début harmonieux du programme, au besoin en épaulant le chef de mission, élément clef du programme, car seul représentant sur le terrain (là ou tout se passe) du bailleur de fonds (le payeur).
Pourtant ma psychose est bien installée et va continuer à gâcher cette partie de ma vie. Je vois des ennemis partout, où que j’aille.
J’en fait part à Armand, qui essaye de me mettre en confiance: je suis conseiller à la SNEC, donc sous la protection de la SNEC, un état dans l’état, personne ne peut rien contre moi!
A notre retour à Yaoundé, la capitale, Armand me remets les clefs d’une voiture, mise à ma disposition, avec chauffeur, pour les deux semaines que je vais passer à Douala.
Le lendemain, c’est le départ pour Douala, la capitale économique du Cameroun. Avec Bintou, nous serons logés à l’hôtel Ibis, en attendant de trouver un appartement, mieux qu’une villa, pour des raisons sécuritaires. Les hôtels Ibis ont un avantage, c’est que où qu’on soit, en France ou en Navarre, ou au Cameroun, la réception, les chambres, le bar et le restaurant sont partout identiques. On ne s’y sent jamais dépaysés, et quand on rentre dans sa chambre, dans n’importe quel pays, on finit par avoir l’impression d’être chez soi.
Remarque: c’est pareil dans les Sheratons.
Bon, il faut sortir un peu, la voiture est en bas dans le parking mais le chauffeur n’est pas là, c’est dimanche..
– Bintou, allons faire un tour en ville, ça te changera les idées! …Sur l’pont du Nord un bal y est donné (bis). Mets ta robe blanche et tes chaussures dorées
– Bien sûr mon chéri!
Eh bien, mon chéri, il a encore et toujours la trouille, l’impression d’étre suivi par des voitures…
Ici à Douala les africains sont grands, gros et forts. En costume cravate. Pas comme les peuhls du Sénégal.
Ça fait peur, paï!
La nuit je dors très mal. Certains matins, je prépare mes bagages, pour être prêt quand la police viendra m’arrêter.
Un midi, rentrant du travail, je ne trouve pas Bintou à l’hôtel! Je commence à paniquer, imaginant que la police est venue l’arrêter pour la questionner à mon sujet…etc.
Je ne désire qu’une chose, retourner à Yaoundé, et y retrouver Armand pour le mettre au courant de mon anxiété permanente. Je commence à envisager de laisser tomber mon travail et de rentrer en France!
La situation ne s’améliore pas, puisque Bintou, voyant, sentant mes peurs paniques, se met par mimétisme à paniquer, elle aussi!
Le vendredi soir, arrivé à Yaoundé, je m’épanche auprés d’Armand, lequel ne comprend pas dans quel état j’erre, et fini sans doute par se demander si je suis bien normal. Ils nous invite au restaurant, puis le lendemain à jouer au golf de l’hôtel du Mont Fébé, mais rien n’y fait, dés que je m’éloigne de lui, je recommence à paniquer.
Spécifiquement quand je reprend le volant, pour rouler en ville et retrouver notre hôtel.
J’ai alors toujours la sensation opprimante d’être suivi par plusieurs voitures, conduites par des camerounais énormes, aux mines pathibulaires.
Je me souviens le dimanche soir, nous rentrons dans un restaurant, et là je vois tous les convives se tourner vers nous et nous observer. C’est sans doute de la curiosité, mais moi je suis persuadé que c’est une conspiration! Et je m’enfile plusieus verres de vins pour me rassurer.
Finalement, le lendemain après avoir pris congé d’Armand, nous rentrons en voiture à Douala, et au lieu de chercher un appartement, ou de commencer réellement à travailler, je me rends à l’àéroport pour consulter les horaires des prochains vol sur la France!
Et là il n’y a personne, sauf un individu qui paraît m’observer, en lequel je reconnais le type qui m’avait approché, sur la passerelle de l’avion lors de l’escale de Bamako! Je flippe un max! Et vais boire un coup pour me rassurer.
Dès notre départ de Yaoundé, Armand très préoccupé par mon état mental, a téléphoné à Paris, au siège du BCEOM, pour informer le chef de département de mon piteux état, en ajoutant que je pense abandonner ma mission pour rentrer en France.
C’est pourquoi celui-ci m’appelle, et commente ma décision, qui est très préjudicable pour tout le monde: lui et son département, puisqu’il leur a fallu plusieursmois de travail, et pas mal d’argent pour gagner l’appel d’offres, m’embaucher, me transporter au Cameroun, me présenter aux autorités, me loger, nourrir etc…De plus, si je suis défaillant, si je pars, le BCEOM pourrait être déssaisi de l’affaire par la SNEC, et dévalorisé auprés de l’AFD, le bailleur de fonds, qui pourrait, du coup, me mettre , ainsi que le BCEOM, sur sa liste noire, pour longtemps (blacklist). En plus, le début du programme pourrait bien, du seul fait de mon départ, être retardé de plusieurs mois, voire d’une année.
Il me demande aussi de revenir sur ma décision, de réfléchir à la situation qui m’attend sans emploi ni revenu en France, aux conséquences néfastes pour ma famille..et pour ma carrière, ..etc.
Mais moi, maintenant, la peur chevillée au corps en permanence, je ne veux plus qu’une chose: quitter le Cameroun au plus vite! possible! Je n’en démords pas!
Quand je repense à tout ça, en écrivant ces lignes, je réalise l’absurdité de mon comportement. Quel gâchis, quels dégâts!
De mon seul fait!
Finalement nous reprenons, Bintou et moi, l’avion. J’explique à Bintou qui a un billet retour Cameoun-Niamey (Niger)-Paris que c’est mieux pour éviter les frais qu’elle descende à Niamey. Je la rappellerai dès que j’aurrai trouvé un appartement.
A peine arrivé, à Paris, je me rends au siège du BCEOM, pour formaliser la rupture, de mon fait, de notre contrat, et me retrouve dans le même bureau que celui où j’étais, il y a un mois, ravi d’avoir trouvé un nouvel emploi au Cameroun.
Merde, alors!
Hyères
Ceci fait je descends à Hyères, où Olivier me loge chez lui en attendant que je trouve une location.
Je trouve rapidement à louer un petit F2 meublé, situé place du Portalet, dans la vieille ville. Ci dessous mon appart, au balcon.
En été, le Portalet est un lieu touristique, très fréquenté, en raison de son cachet de vieille ville. C’est l’élément central du vieux Hyères.
Les restaurants y sont nombreux, là, au pied de mon balcon. Tous se livrent chaque jour, au même manège: 6 h du matin on sort toutes les tables sur la place, 11h du soir on rentre toutes les tables dans l’établissement.
Nous emménageons donc, et dès le lendemain matin, je repère un bar, à l’enseigne « TERANGA ». J’avoue que je suis surpris. Pourquoi Teranga?
Teranga, c’est un mot de l’ethnie Wallof du Sénégal. Un mot très populaire signifiant la bienvenue, l’acceuil, l’hospitalité. Plutôt un bon présage pour notre installation sur la place!
Intrigué j’entre, m’accoude au comptoir et commande un café au lait, croissant. La patronne est au comptoir. Avec ses cheveux blond elle n’a pas vraiment l’air d’appartenir à l’ethnie Wallof du Sénégal.
Néanmoins je la salue aimablement:
– Salam Alekoum,
– Oui, pardon, …euh, vous dites?
– un café, deux croissants s’il vous plaît.
Excusez moi, vous n’êtes pas sénégalaise, n’est-ce pas?
Elle se fend la pipe:
– non, pas vraiment, pourquoi?
– Ben, Teranga en sénégalais ça veut dire bienvenue.
-A oui, si vous le dites.
– Alors, « bienvenue », je comprends mais pourquoi en sénégalais pour votre honorable établissement?
– Ecoutez mon mari vous expliquera, il sera là à midi.
Reda son mari libanais. Elle s’appelle Mado.
– Très bien, j’aurrai l’occasion de repasser, j’habite juste à coté.
Puis je vais à l’atelier de mon frère pour téléphoner à Bintou, et lui dire que tout va bien, j’ai loué un appart, elle peut venir.
Le lendemain soir, mon frère me conduit à l’aéroport pour la récupérer et nous dépose, place du Portalet, puis vient visiter notre F2.
Après un temps de repos, Bintou et moi descendons prendre l’apérétif au Teranga.
Je fais les présentations, « Bintou ma femme, Mado, Reda, son mari ».
Le bar est plein, et Bintou, intrigue les soulographes! Pourquoi un type si vieux, un vieux con, avec une si jeune et jolie fille? Voilà une question que je n’ai pas fini d’entendre!
Les français que nous rencontrerons me poseront souvent la question. Sommes nous mariés légalement? Mais oui, regardez le certificat! Et comme si ce n’était pas suffisant: « avec l’accord de la famille? Mais oui, regardez, j’ai même l’accord de son père ». Ah, très bien, tous nos voeux de bonheur. Tout en pensant, à coté de leur femme: « il a même payé le père, pour avoir la fille et en faire son esclave sexuelle »! Et des pensées plus précises du mari, avec un regard qui en dit long, du genre » le veinard » ou encore « je vais essayer de la baiser! ». Etc, on n’est jamais déçu.
Le lendemain, j’emmène Bintou, à la terrasse du « bar du coing ». Coïncidence, j’y recontre Roger, mon vieux copain que je n’ai plus revus depuis l’année du bac, 1962, il y a 30 ans. C’est lui, Roger, qui m’avait en 1961 tiré une balle dans la tête, mais nous n’évoquerons pas ce souvenir, que nous avons pourtant en tête, à l’instant même.
Roger va bien, mais il vient de divorcer, sa femme l’a plaqué!