Catégories
Mayotte

Mayotte 1976, 1982, 1995 et 2023

/

1982: On construisait des maisons…

1995: On captait et on traitait l’eau des rivières pour la rendre potable.

1995: On posait les canalisations de distribution d’eau potable.

2000 à 2023: invasions quotidiennes

en provenance d’Anjouan.

2023 Bidonvilles, habitats sauvages sans eau ni électricité..

Excellent film sur Mayotte


Mon arrivée en 1995: Mayotte est un archipel de l’océan Indien situé entre Madagascar et la côte du Mozambique. C’est un département et une région française, même si la culture traditionnelle de Mayotte est plus proche de celle des îles Comores voisines. L’archipel de Mayotte est entouré d’une barrière de corail qui abrite un lagon et une réserve marine, destinations très courues pour la plongée.

A notre arrivée, le chef d’entreprise, sa femme et ses enfants, nous attendent à l’aéroport de Dzouadzi.Celui-ci est situé sur la partie hors d’eau du récif corrallien qui ceinture l’île.
Après de rapides présentations nous montons tous dans la chaloupe, qui assure le transit avec Mamoutzou, la capitale.
L’accostage est bien aménagé , un quai, une cale inclinée pour permettre la mise à l’eau d’embarcation, aussi bien que leur retrait. Un parking très proche pour les voitures des voyageurs, qui se rendent à l’aéroport. Et un restaurant, le 5/5, sympa et au bord de l’eau. Nous nous y arrêtons un moment pour nous retaper et faire plus ample connaissance?


En regardant l’île haute, je reconnais d’emblée la nature volcanique de l’île.
Sur les plages de sable noir, des vestiges de dykes, détruit par le temps qui passe.
Mais il y a aussi des plages de sable blanc, provenant du récif corallien qui entoure l’île.
La ressemblance cartographique avec l’île de Bora-Bora, à l’autre bout du monde, est stupéfiante.

A la demande de Michael Crisci, l’entrepreneur a loué et meublé pour nous deux, une villa confortable à Combani, une petite localité située sur le plateau du même nom. Tout Autour de nous l’odeur entêtante des fleurs d’Ilang-Ilang.
-Cela vous convient-il?
– Oui bien sûr, mais pour le transport en ville?
– je vous mets à disposition un chauffeur pour quelques jours, puis je vous ferai plus tard une proposition.
– et la nourriture?
– vous ne trouverez rien à Combani, si ce n’est un restaurant tout à fait correct tenu par un ancien mercenaire de Bob Denard. Nous y avons réservé une table pour nous quatre, ce soir. On passe vous prendre à 19 h? En attendant, reposez vous, tout est fonctionnel, la clim ici et la télévision aussi.
– A tout à l’heure?
– A tout à l’heure. Et merci de votre accueil.
Nous nous allongeons sur lit de notre chambre, et recrus de fatigue, nous tombons dans les bras de Morphée.


Aide mémoire
Bob Denard, et sa troupe de mercenaires, après avoir séjouné à Anjouan durant des années, ont quitté l’archipel des Comores depuis longtemps.
https://g.co/kgs/hJ6F4z

Six mois après notre installation à Mayotte, avec Ricardo, que j’ai recruté pour contrôler les travaux, nous allons par la navette à Dzaoudzi, pour accueillir Michael qui vient voir comment le projet se déroule.

Mais, quelle mauvaise surprise, Michael débarque avec un bandage à l’oeil droit, et à gauche c’est un oeil au beurre noir! plus ou moins camouflé par des lunettes noires.
Il porte sur le visage des traces d’hématomes. A peine arrivé, sans se donner le temps de discuter, il nous demande de le déposer à l’hôtel le plus proche, car il est épuisé et veut se reposer, seul pendant tout le week end. Il demande à ce qu’on ne le dérange pas, et qu’on vienne le chercher lundi à 8 heures
Un peu surpris par cette arrivée peu banale, nous repartons vers Mamoudzou et allons boire un verre au 5/5: Ricardo est un inconditionnel du pastis. Quant à moi je me contente d’un café car je vais remonter sans tarder à notre villa, sur le plateau de Combani.

Lorsque je n’ai plus de vin à la maison, je stoppe dans un petit bar sympa, juste avant d’entamer la montée. Le patron m’offre alors un verre et je lui achète un conteneur d’un volume de 5 litres de rosé bien frais. La température restera fraîche jusqu’en haut, à la villa grâce a un revêtement intérieur: une feuille d’aluminium très réfléchissante. Et un petit robinet à la base pour se servir sans renverser.
J’insère le conteneur de vin rosé dans mon sac à dos, on dirait qu’il a été dimensionné par ça. Et j’attaque la pente par le premier des 70 virages.

La montée est longue et ne comporte pas moins de 70 virages, ce qui n’est pas un problème car la piste a été récemment reprofilée par une niveleuse, avec un profil en travers adapté à chaque virage: une esquisse de fossé, au pied du talus qui élimine les effets de la force centrifuge et conduit le conducteur de la moto, confortablement jusqu’à la sortie du virage. Donc une montée très agréable avec de bonnes sensations. Arrivé en haut, pour la nuit je gare la moto dans le salon, qui ouvre entièrement sur l’extérieur par deux grands panneaux coulissants. Que l’on ferme évidemment pour la nuit.


Notre jardin était bien fleuri et à l’extérieur il y avait des ilangs-ilangs, qui me rappellaient les ourangs-outans de Marceline, partout autour de nous… une odeur enivrante et savoureuse, qui n’est pas sans rappeler celle du jasmin de Tahiti, le fameux Tiare Tahiti.

Le plateau de Combani, et ce n’était pas le seul, était couvert de cultures d’ilangs-ilangs. Pour en faciliter la récolte, on les contraignait à pousser à l’envers, vers le bas. Puis le moment venu, on les redressait vers le haut jusqu’à hauteur d’homme (ou plutôt de femme) car ce sont elles qui assuraient la cueillette. Dans tous les pays du monde: ce sont les femmes qui assurent la cueillette…Noble tâche qui associe la grâce et la beauté…, et la bonne odeur, pour ne pas dire saveur, de nos chéries adorées…

Dans ma vie d’aventures, revenaient périodiquement des temps de calme, de tranquillité et d’amour fidèle. Ici, et maintenant je sentais que c’était le moment de nous installer confortablement pour jouir de l’instant présent.

J’avais embauché une cuisinière et nous prenions nos repas le plus souvent à la maison. La noix de coco fournissait eau et chair ; l’arbre à pain permettait de savoureuses préparations culinaires.
« Fruitapain » à Mayotte, « Uru » (prononcer ourou) à Tahiti, différence de vocable illustrant celle entre département et territoire d’outremer. Ici le fruit est cuit dans l’eau bouillante, à Tahiti sur un feu (voire sur une gazinière !).

https://fr.wikipedia.org/wiki/Ylang-ylang#Écologie

https://fr.wikipedia.org/wiki/Arbre_à_pain#Autres_utilisations

Le URU encore appelé FRUIT A PAIN.

Mais revenons à Michael que nous allons récupérer à son hôtel sur le motu de Dzaoudzi. Bonne nouvelle, il a l’air en bien meilleure forme qu’à son arrivée, et est disposé à parler avec nous :
« Alors, Xavier comment se passe notre programme ? »
« Michael, à vrai dire, ça démarre mais avec un certain retard dans la livraison des tuyaux, au port de Longoni, le seul port de commerce de l’île, par lequel transite l’essentiel de nos équipements et canalisations. Il est en réfection et neutralisé pour au moins un mois encore.
Nos plans des études d’exécution, sont terminés pour les conduites, les stations de pompage, les réservoirs et la distribution dans les quartiers. On peut toujours avancer là-dessus en attendant l’arrivée des tuyaux. Les plans des réservoirs sont ok mais il reste à vérifier leurs emplacements, et le tracé des canalisations d’adduction, en arpentant le terrain.

J’ai passé pas mal de temps avec Ernest, l’ingénieur de la Direction de l’Équipement, en reconnaissance de terrain, et à la vérification des sites d’implantation des réservoirs en béton : dimensions, altitudes, terrassements nécessaires etc. Nous avons nos appareils de mesure portatifs : un altimètre, un topofil pour mesurer les longueurs. Également un clinomètre pour vérifier les pentes.
Nos vérifications sont terminées, tout est ok, si ce n’est la station de pompage principale qui devra être construite légèrement plus grande, pour y positionner deux pompes de secours. J’ai dû modifier les plans en conséquence.
 « Voilà, Michael où nous en sommes. Quel serait ton programme à présent ? ».
« Je vous annonce l’arrivée demain du représentant de l’Union Européenne, bailleur de fonds pour cette opération. Une réunion est prévue après demain avec la Direction de l’Équipement. Maintenant je dois aller à une réunion avec l’entreprise.
Xavier, on se revoit ce soir au Macumba ? Ok ? “.
“Ok Michael “.
Bon, c’est parfait, je ne vais pas changer mes habitudes, je vais aller manger au 5/5, comme chaque jour car je n’ai pas le temps de monter à Combani à midi. Au 5/5 je retrouve tous les jours à midi, deux amis, deux frangins habitués du restaurant. Au menu, revient souvent la fameuse langouste à la vanille, accompagnée d’un rosé de Provence, léger et bien adapté au climat mais pas vraiment adapté au boulot quand on en boit un peu trop. Pierre est le chauffeur, garde du corps du Gouverneur, et son frère, ingénieur a son propre bureau d’études. Je ne sais plus ce qu’on se racontait mais je me souviens qu’on parlait beaucoup, et longtemps. Vers 14 h, c’est Pierre qui partait le premier vers son Gouverneur ; vers 14h30 c’était son frère, et je restais le plus souvent le dernier, perdu dans mes pensées. En fait, près de 6 mois après mon arrivée, ce job ne m’intéressait plus du tout. Au travail j’étais seul, isolé dans un bureau minable, au sein d’une zone industrielle déserte. Je m’ennuyais ferme dans cette île sans âme, chargé de suivre et contrôler des travaux sans envergure.  

 Du côté de Bintou ça n’allait pas fort non plus, et je m’en rendais compte. Toujours pour les mêmes raisons qu’en en France métropolitaine. La première était l’éloignement de sa famille, de ses parents proches ou de ses amis, de ses copains, de son quartier, de sa ville, de son pays et de son continent. Bref, de sa culture africaine. La seconde, et pas la moindre, c’étaient les opinions défavorables exprimées à mon égard, en regard de notre différence d’âge. Pour elle qui avait placé toute sa confiance en moi, il était difficile de me voir déprécié, par mes propres compatriotes. C’est elle-même qui m’en avait parlé.
Le comble sur ce point, fût une intervention d’une fonctionnaire française du service des finances mahorais, pour la pousser à divorcer (mais ce n’était pas la première à le faire) et elle lui proposait un jeune sous préfet affecté à Mayotte, qui prendrait ses fonctions sous peu. Résultats : Bintou, très fragilisée fait une nouvelle tentative de suicide en avalant un grand nombre de cachets, un matin peu après mon départ au travail. Je suis prévenu par un coup de fil au bureau et me précipite à la maison. Le jardinier qui l’a découverte, est là et m’explique qu’elle a été transportée à l’hôpital de Mamoudzou, dont il me donne le numéro. Je suis soulagé, on a réussi à la faire vomir à temps. Mais il est plus prudent de la garder en observation.                                                                                

L’après-midi, je me présente au service des finances et demande à voir « la française ». C’est la chef de service. Je rentre dans son bureau et commence à la prendre vivement à partie, à propos de ses manigances sous-préfectorales. (Je connais un peu le milieu, puisque dans une vie antérieure j’avais épousé une fille de sous-préfet). Je conclus en lui apprenant que Bintou vient de tenter de se suicider et que je la tiens pour responsable de ce geste désespéré. 

J’ajoute, que si Bintou ne s’en sort pas, je viendrais lui régler moi-même son propre compte. Elle reste muette du début à la fin…

“Pour la petite histoire“, j’ajoute que la financière ne se privait pas de son côté puisqu’elle copulait avec son jardinier, comme j’ai pu le constater lors d’une soirée BBQ sur la plage. Après la bringue, tout le monde dormant sur le sable, je la gardais à l’œil, et la vis se diriger sur la pointe des pieds vers le grand rocher, derrière lequel son jardinier l’attendait.

L’Administration française régnait et régentait tout sur l’île. En fait, ayant toujours travaillé et vécu à l’étranger, je ne connaissais pas cette administration. Quant aux fonctionnaires en place, ils n’avaient jamais, à ma connaissance, travaillé sur un programme international, et n’appréciaient pas d’être chapeautés par un expert mandaté par l’Union Européenne, moi en l’occurrence. On n’arrivait pas à se connecter les uns aux autres. Bon sang, l’Afrique c’était quand même franchement plus marrant ! Et j’espérais donc un mail du bureau d’études américain, “Louis Berger International Inc.“ pour lequel j’avais travaillé 5 ans auparavant au Niger.  Il avait en effet répondu à un appel d’offres de la Caisse Française de Développement pour le Mali, en me proposant comme chef de mission. J’en avais bien sûr prévenu Michael, lors de mon court séjour à Naples, et nous avions convenu que je débutais la mission à Mayotte, mais que si l’opportunité avec LBII se présentait, je conservais ma liberté, à ce moment-là, de prendre ma décision : Rester à Mayotte ou partir à Bamako.                                                                                               

Le soir venu, je retrouvais Michael, accroché à son verre de scotch, au bar du night-club, le Macumba, sur la place Mariage. 

Vraiment, en ce qui me concerne, je buvais pas mal, mais Michael me dépassait largement, capable de rester des heures entières, le coude sur le bar. Et ce soir, j’étais venu avec Bintou, pour parler un peu de notre projet. Il m’offre un verre et entame la discussion bille en tête :  

“Xavier, dis-moi, ça va durer longtemps encore ? “ 
Moi : « longtemps, quoi ? » 
« Les prélèvements que tu effectues sur le compte du projet ».
Moi : « Ah oui, je vois : le montant de mon mois de congé, et mon intervention sur les plans de la station de pompage augmentée ».
Michael : « Oui, tu vois ce que je veux dire. Écoute Xavier si tu savais comme ça m’est égal. Je suis loin devant les questions d’argent. Allez n’en parlons plus, et je vous offre un verre : Bintou ? Xavier ? ». « Une limonade et un mazout » 

Je comprends et il n’avait pas tort : Dans le besoin, je m’étais adjugé un demi-mois de congé, qui n’était pas prévu dans le contrat, (mais je venais de réaliser six mois de prestations, à la satisfaction générale) et pour mon intervention sur les plans, il était prévu 25%, et je m’en étais attribué 75 %, car ç’est moi qui avait fait tout le boulot. Ce n’était pas un problème pour Michael, mais le lendemain il passait à la banque pour me retirer la signature.

Le lendemain soir, Michael invite le grec de l’U.E. et moi même dans le meilleur restaurant de Mamoudzou. La discussion va bon train, et Michael nous explique que le bureau Crisci Inc. avait été créé par son père, au moment de la naissance de l’Union Européenne, à l’époque des calques, des dessins au normographe et des machines à calculer à manivelle. Sauf pour les ingénieurs mathématiciens qui péroraient avec leur règle à calcul Aristotrilog.  Moi j’en avais acheté une en Math Sup, et deux ans après, c’était l’apparition des premières calculettes à cristaux liquides. Et Michael souligne l’excellente réputation qu’avaient les ingénieurs italiens, spécialement pour le calcul et le dessin des ponts suspendus ou non.                                                                                                                      

De mon côté, j’avais une idée qui me trottait derrière la tête : Travailler directement pour les bailleurs de fonds, sans passer par un bureau d’études. Et gagner ainsi le beurre et l’argent du beurre. Alors j’interrogeais le Grec sur cette éventualité, qui avait prévalue, mais me paraissait être à présent en voie de disparition. Et après ma question, je m’esquivais aux toilettes. Debout en train d’uriner dans une faïence signée Jacob Delafond, je vois Michael prendre, à ma gauche, une position similaire. « Mais Xavier, qu’est-ce que tu me fais, là avec le Grec. Tu veux me shunter, éliminer mon bureau d’études ? » « Mais non Michael, quand même, vraiment ! Je posais la question en général, pour qui tu me prends ? ». « Bon ok Xavier, mais s’il te plaît, fais attention à ce que tu dis ! » 

A la fin du repas, le Grec ayant pris congé, pour conclure la soirée Michael m’invite à un pousse-café au bar, un dernier verre au comptoir. et sur le ton de la confidence: « Xavier, après ce chantier je pense prendre ma retraite dans un coin tranquille. Pourquoi pas une île de l’océan Indien? Toi qui est là depuis six mois pourrais-tu me conseiller, m’orienter vers un coin isolé, calme et discret… Quelle île me conseillerais-tu ? »
Etant resté scotché sur Mayotte depuis le début de ma mission,, il me semblait que l’île Maurice pourrait répondre à ses voeux, surtout parce qu’elle est indépendante et donc probablement plus isolée que Mayotte, La Réunion ou Madagascar (à cette époque).
                                                                                                                      Mais le lendemain, je reçois enfin le mail de LBII que j’appelais de tous mes vœux. Et j’annonçais à Michael que j’allais quitter son programme, pour retourner vers l’Afrique qui m’attirait irrésistiblement. Alors évidemment il est pris de court. Le mieux est de l’annoncer tout de suite, à la réunion de cette après-midi prévue à la Direction de l’Équipement. Michael ne voit pas d’autre solution que d’assurer lui-même la seconde partie de la mission qu’il m’avait confiée. En ce qui me concerne, je tire ma révérence à tout le monde, et je déploie mes ailes et Bintou les siennes vers Madagascar, pour un peu de vacances… 


30 ans plus tard…..

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.