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Mali 1

Mali 1

Vers 3h du matin, mon avion, se pose à Bamako. Un jeudi, dans la nuit.
Je suis chargé, avec ma valise, mon ordinateur et ma sacoche en bandoulière. Nanti des documents et références indispensables, je passe la douane à l’aise.

M. Vitsoa, un ingénieur diplômé de l’école polytechnique, également chef de projet chez Louis Berger, m’attends à la sortie et, après les politesses d’usage, nous nous dirigeons vers l’hôtel international, où ma chambre est réservée. Je me présente et me déleste de mes bagages. Puis nous allons boire un café ensemble. Cet accueil, bien organisé, m’est très util, car je ne connais rien du Mali, où pour deux ans je vais refaire ma vie, personnelle et professionnelle.
Après une petite heure de briefing, fatigué par le vol nocturne, je remercie cordialement M.Vitasoa de son accueil et je me dirige lentement vers ma chambre où je m’écroule anéanti pour un bon sommeil réparateur.
Sur mon appel un chauffeur m’y rejoindra.
Sinon, demain matin, vendredi, il sera à ma disposition à l’hôtel, dès 8 heures.
Ce vendredi commence à la banque, pour ouvrir mon compte personnel, et le compte projet dont, a midi, je faxe le Kbis à Paris. Notre mission commence officiellement lundi, Lenorcy fera le déplacement pour ma présentation officielle à la Société Nationale des Eaux du Mali (la SNE). Je lui remettrai alors l’original du Kbis, document essentiel pour présenter notre facture No1, la demande de l’avance de démarrage.
Il est aussi prévu une visite à la représentation locale du bailleur de fonds: l’AFD, Agence française de développement.

Ma nouvelle mission:
A BAMAKO
Réhabilitationet extension de la STEP (100.000 m³/jour). Réservoir de Badalabougou (18.000 m³).


À MOPTI-SEVARE
Réalisation d’une adduction entre la station de traitement de Mopti et Sévaré et d’un réseau de distribution d’eau à Sévaré.
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A TOMBOUCTOU
Réalisations de forages, réfection et extension du réseau de distribution d’eau existant, et construction d’un château d’eau de 900.000 litres à 20 m. de hauteur.

Nos bureaux tout neufs, construits et équipés par l’entreprise en charge des travaux, sont d’ores et déjà disponibles.

Ma maison au bord du fleuve
Pendant le week-end, je pars me promener aux environ de Bamako. Nous longeons, vers l’amont, le cours du fleuve. Pourquoi pas? Chemin faisant, j’explique au chauffeur que je suis à la recherche d’un logement. « Patron, je peux vous montrer quelque chose? » OK.
Il m’emmène alors, quelques km en amont, et bifurque pour prendre une piste qui nous mène tout droit vers le bord du fleuve. Elle aboutit à un portail; le gardien se lève, nous ouvre et nous invite à le suivre. Il marche devant notre voiture. Nous traversons une belle propriété, partiellement cultivée, et enjolivée par des arbres à fleurs odoriférantes.
Nous parquons, et nous dirigeons vers la porte d’entrée de ce qui semble être le bâtiment principal. Le gardien sélectionne la bonne clé, noyée dans son trousseau. Il ouvre la porte, et là, Whaou! c’est une magnifique vue qui s’offre à mes yeux, à travers une grande baie vitrée: Large, puissant, majestueux, le fleuve Niger s’écoule devant nous en silence. De plein pied, une grande terrasse carrelée, offre en son centre une vaste piscine, où nagent grenouilles et canards sauvages. Des fleurs et de la verdure partout! Quel contraste avec la poussière aride, de la piste !
De grandes pirogues colorées se laissent descendre le courant, d’autres le remontent en poussant sur de longues perches.

(Ndrl): Les maliens de l’ethnie Bozo, sont les seuls autorisés à trafiquer sur le Niger: pêche, pissiculture, extraction et transport de sable du fond du fleuve, transit de passagers, d’une rive à l’autre..etc.
Ce trafic prospère durant la saison sèche, lorsque le courant l’autorise. Pour le remonter, les longues pirogues sont alors propulsées vers l’avant par un perchiste, debout en équilibre sur le plat bord de sa pirogue, qui pousse en marchant vers l’arrière et la fait ainsi défiler sous ses pieds, vers l’avant. Puis finissant par se retrouver à la proue, il doit alors remonter vers l’avant, sa perche à la main, et une fois arrivé sur la poupe, il refait le même manège…etc.
Par contre lorsque la brise est favorable des voiles en toiles de jute gonflent sous le souffle du vent arrière.

Sur la gauche de la terrasse est aménagé un petit port, avec un quai incliné à 45⁰ , ce qui permet une adaptation aux variations saisonnières du niveau des eaux.
Il y a dans ce petit port de la place pour un speedboat, petit bateau à moteur et un hobie-cat, petit bateau à voile.
En s’avançant sur la terrasse on tombe à main droite sur une sorte de zoo, sans barrières, avec des animaux sophistiqués: paons multicolores, biches naines, grues argentées, toucans….
Et, avec le recul, on découvre derrière les trois bungalows d’habitation un mini-terrain de football, bien délimité à la chaux avec ses deux cages et un éclairage par projecteurs pour la nuit. La partie habitée de la propriété dispose aussi de nombreux luminaires, sphères rondes et blanches.

Nous étions rentrés par le bungalow central, qui abrite outre le living room, cuisine et W.C..
Puis on me fait visiter, à droite et à gauche, deux bungalows, de section ronde, comprennant chacun deux chambres meublées (kitch) et climatisées, avec salles de bain. Je remarque au passage que portes et fenêtres sont en tôle roulée épaisse, avec de très solides verrous.

Quatre chambres et quatre salles de bain, voilà qui devrait faire l’affaire pour un modeste couple comme Bintou et moi-même.

L’ alimentation électrique de l’ensemble provient d’un groupe électrogène, avec une cuve fermée, réserve de gas-oil.
Un puits a été creusé à proximité, pour l’alimentation en eau des bungalows. L’exhaure de l’eau s’effectue à partir d’une pompe immergée conduisant vers un réservoir surélevé, haut perché.
C’est finalement une version améliorée de la case de Robinson et Vendredi: loin de tout certes, mais entièrement autonome.
Pour moi, séduit par cet ensemble cohérent, je vais réaliser un rêve d’enfant en louant cette propriété. Avec tout le personnel qui s’y rattache (le gardien, sa femme et ses enfants veillent sur la sécurité, entretiennent les lieux, et gèrent le groupe électrogène et la pompe immergée). A la fin de la visite, le gardien me passe son téléphone: il est en ligne avec Karunga, le propriétaire! Bon, ça va vite! J’aime ça.
Peu après Karounga nous rejoint et me fait une proposition chiffrée, tout en faisant remarquer que le prix normal de location d’un tel ensemble serait normalement quatre fois supérieur au loyer qu’il me consent. Merci beaucoup, Karounga, pour cette réduction de 75%! Je suis preneur. Le loyer et le gardien seront payés par mon employeur LBII. C’est dans mon contrat.

Voilà en peu de temps j’avais bien progressé, sur le plan de mon installation au Mali.

Les véhicules
Parallèlement j’engageais l’achat de mon véhicule, en me rendant chez le représentant de la maison Toyota. Il me fallait impérativement un 4×4 dernier cri car si dans le centre ville quelques artères sont goudronnées, dans les quartiers les rues ne sont que de méchantes pistes, sur lesquels les véhicules zigzaguent, à vitesse réduite entre les bosses et les trous. Et pendant la saison des pluies, en l’absence d’infrastructure d’assainissement, c’est encore plus difficile, puisque toutes les voies de circulation sont inondées. Telle était la situation, il y a 25 ans, dans la plupart des capitales africaines.
L’importateur m’avise, qu’il a en commande un lot de camionettes Toyota Hilux, le modèle que je connais bien, dernière version. Mais il me faudra patienter un mois. OK, je réserve mais en insistant sur la nécessité de me bloquer absolument ce 4×4, dont j’aurais d’ici là, un besoin impérieux pour le chantier de Tombouctou.
Pour mon usage personnel je prend possession d’une conduite intérieure, une « Corrola », évidemment toute neuve, et disponible sur le champ.
Pour mes collaborateurs appelés à se déplacer à Bamako, et à Mopti/Sevare, un troisième véhicule, du même modèle, conviendra. Évidemment, je discute les prix, je marchande, et j’obtiens pour cette commande groupée, une substantielle remise, avec un échéancier de paiements échelonnés sur six mois. Je fais un chèque pour les deux Corollas, mais pour le 4×4 on attendra la livraison.

On voit donc qu’à chaque début de mission, les frais de démarrage sont conséquents.. Normalement, ils sont couverts par la fameuse « avance de démarrage, » en gros 15% du montant total de notre contrat.

Mon équipe.
Quant à aux contrôleurs de chantier, et aux agents administratifs, ils seront fournis, après examen attentif de leurs CV , par notre partenaire, un bureau d’études local.

Cependant, il nous manque un technicien en génie civil. Je téléphone derechef au Niger, à Moussa Ziaroumey – nous avions travaillé ensemble à Niamey – qui est disponible et rejoindra sans délai Bamako, après une petite négociation sur son salaire.
Vite fait bien fait, notre équipe est à présent opérationnelle.

Moussa.
Moussa est un grand saï-saï.Au Sénégal, en wallof, c’est un peu un voyou, un plaisantin, aimant s’amuser et profiter de ce cadeau divin: la Vie! Olé!
Moussa est ingénieur en Génie-civil et j’ai bénéficié de ces compétences deux ans auparavant au Niger.
Mais, après son arrivée au Mali, égrainant nos souvenirs, il m’a fortement surpris en m’expliquant et en illustrant, preuves en mains, la manière originale et très spéciale, qu’il avait enseignée à notre secrétaire, pour faire des photocopies originales, recto/verso avec notre Rank Xerok à plateau coulissant. Manière qui ne manquait pas de culot.
Du punch, du culot et de l’humour!
– Demander à la secrétaire de se déculotter.
– Placer la photocopieuse par terre.
– Photocopie RECTO: La secrétaire se place bien droite devant la phocopieuse. Puis elle avance et enjambe le plateau, un pied à droite, un pied à gauche.
– Elle se tiens accroupie au dessus et au milieu de la machine, avec les jambes repliées, et les fesses à une hauteur proche du plateau.
– Ne plus bouger.
– Moussa appuye sur le bouton de démarrage.
La photocopie sort sur le devant de l’appareil. L’effet est saisissant!
– Photo VERSO: Encore plus fort: la secrétaire s’asseoit sur le plateau coulissant. Moussa appui sur le bouton. J’ai vu les originaux, l’effet est très, très réaliste.
Quel punch, quel culot, quel humour!


Je sors de 16 minutes d' »hyperméditation » guidée par Lus Bourdin. De l’hypnose verbale, musicale et finalement mentale.
Ça m’a vraiment décontracté, tous les muscles de mon corps et aussi mes organes internes qui continuent de gargouiller, un quart d’heure après. En revenir doucement demande de rester au calme, encore quelques minutes. Et puis, dans le bien-être je reviens vers mes écritures. Et ce que je vais raconter maintenant, n’est pas des plus agréable. M’a bouleversé, et 25 ans après me bouleverse encore à présent.

Pauvre petite fille
Il est midi à Bamako. A l’appel du muezzin, du haut du minaret les fidèles convergent vers la grande mosquée. Après les ablutions, les premiers rentrent à l’intérieur, mais beaucoup restent alignés dehors, faute de place. Agenouillés sur leurs petits tapis de prière, ils se livrent la prière rituelle:

« Allahou akbar, Allahou akbar, Allahou akbar ». « Ach-Hadou ane lâ ilâhailla lahou wa ach-hadou anna Mouhamadame rassoulahi ».

C’est à dire:
« Dieu est grand » (3 fois).
Je témoigne qu’il n’y a de Dieu que Dieu, et que Mohamed est son prophète ».

Alors que les croyants se relèvent et se dirigent vers leur maison, pour y prendre le repas, je commence le mien, puis repu je m’apprête pour une bonne sieste.

Sans que je le sache, ici et maintenant, mais aussi ailleurs et maintenant le Destin se met en place, irréversiblement.

Ici, à la maison, arrive mon ami Peter, qui me demande si je peux l’accompagner en voiture à l’aéroport. Au même moment, ailleurs, une famille de musulmans wahabites termine son repas.

Nous montons dans ma voiture et rejoignons la route nationale qui mène à l’aviation. Ailleurs, mais déjà plus près, deux enfants reprennent leurs jeux autour de leur maison.

Je roule sur la nationale, à double voie, elle est déserte. Mais, jetant un coup d’oeil sur le tableau de bord, je réalise que je roule bien trop vite, au dessus de la vitesse limite autorisée. Je commence à freiner progressivement pour réduire ma vitesse.

Ailleurs, de plus en plus près de moi, un jeune frère, poursuivi par sa petite sœur grimpe sur le talus de la route nationale et en traverse les deux voies en courant.

Je le vois traverser loin devant moi, il est déjà de l’autre côté. Soudain sa petite sœur surgit hors du talus et, à sa poursuite, traverse la route en courant, droit devant, sans regarder ni à droite, ni à gauche.

Je freine à fond, part en zigzag, relâche un peu, refreine, essaye de l’éviter à gauche, non! à droite, ….et c’est le choc! Le destin a frappé! La fillette se retrouve allongée sur le capot. J’essaye de ralentir progressivement pour ne pas la faire tomber devant, et je finis par m’arrêter ce qui provoque sa chute du capot.
Je descends, m’approche d’elle, mais je décide de ne pas la bouger, comme on nous le répète en France dans de telles circonstances.
Une petite foule, qui grandit vite, s’agglutine autour de la voiture. Je ne suis pas rassuré car les accidents mortels, sur la route, se terminent souvent en afrique par le lynchage du conducteur.
Peter sort de la voiture, me disant qu’il va prendre un taxi.
Néanmoins je prends la parole et exprime ma désolation. Et puis l’enfant est vivante, Dieu est grand! J’explique que je vais à l’hôpital pour chercher une ambulance, je ferme ma voiture à clé et demande quelqu’un pour la garder. Un adulte propose plutôt que je la prenne avec moi et l’emmène tout de suite à l’hôpital. Je lui explique : on ne la touche pas, je vais chercher une ambulance. J’arrête un taxi..à l’hôpital on me dit qu’on va envoyer l’ambulance sous peu à l’endroit indiqué. Le temps que j’y retourne, il n’y a plus personne, sauf un gars tout seul: ils ont transporté de leur côté la victime à l’hôpital, et ce mec me dit:  » tu n’es qu’un salop, tu es parti en laissant la petite gisant sur la route ». J’avais déjà expliqué, je recommence, mais il n’en démord pas! Je le retrouverai comme témoin au procès.
Je monte dans ma caisse, et retourne chez moi. Je préviens Bintou, la laisse bouleversée, pour me rendre chez Karunga et lui expliquer la situation. Il va s’en occuper. Ensuite je file en vitesse à nos bureaux, à la station de traitement, et je préviens mon équipe. Ils m’apprennent, que je risque la prison, dès ce soir et jusqu’au procès. Je téléphone à Paris, pour prévenir mon employeur.
Puis je cherche à rencontrer le Directeur de l’eau, mais il est absent. Que faire? Je retourne à la maison, je retourne voir Karunga, qui prends l’affaire en main, mais me conseille d’appliquer sans défaut la coutume. D’ailleurs Bintou et la cuisinière sont déjà occupées à préparer un repas pour la famille de la petite fille. On sait qu’ils vont s’installer sous le grand manguier dans la cour de l’hôpital. Bintou, a proposé, c’est l’usage et elle le sait, de leur apporter la nourriture, jour et nuit, elle parlera avec eux, elle participera aux prières…Elle est bouleversée et répète à qui veut l’entendre, que si l’on me met en prison, elle y entrera avec moi.
Puis je me rends à l’hôpital, avec elle, chargée des premières victuailles, pour prendre des nouvelles de la petite. Il est tard, les médecins, sont partis mais elle a été admise aux urgences. On en saura plus demain. Je demande à la voir, elle est dans une enceinte transparente aseptisée, inconsciente, couverte de fils et de tubes. Que faire?
Aller voir ses parents et exprimer mes regrets. Ils sont musulmans wahabites, et pour eux plus que tout autre, cet accident est l’expression de la volonté de Dieu, ce qui, dans leur foi, revient à dire que ce n’est pas de ma faute, c’était son Destin.
Je prends congé. Bintou reste avec eux, un chauffeur l’attendra. Il est tard, je rentre chez moi et je m’endors avec le pressentiment que c’est peut être ma dernière nuit, en liberté, avant longtemps.

Le lendemain matin, je retourne aux urgences et rencontre le médecin.
 » L’enfant est gravement touchée, elle peut mourir d’un instant à l’autre, et si elle survit, ce sera à l’état de légume ».
Je retourne voir Karunga qui m’informe que tant que la fillette vivra, je ne serais pas inquiété. Si elle meurt ils verront.
Mais il reste confiant, car il sait que la SNE va me soutenir.
Voilà trois jours et trois nuits se passent, Bintou assure les repas, participe aux prières, fait des sacrifices (elle offre de la viande crue aux pauvres). Elle a décidé, par pure compassion, de passer ses nuits sous le grand manguier avec la famille de la petite. A leur invitation nous partageons la prière du soir. Je passe chez les infirmières tous les matins pour avoir des nouvelles.
Les parents ne demandent aucune indemnisation, aucun don. Par contre, un des fils, me demande: je lui donne quelques milliers de francs CFA. Sa famille, lorsqu’elle l’apprend lui reproche vertement cette démarche, et vient l’excuser auprès de moi!
Le quatrième soir passe et au matin, une infirmière m’annonce que la petite est morte dans la nuit. Je crois qu’on avait tous compris que ça allait finir comme ça. Son malheureux destin s’était accompli….
Après une dernière prière avec la famille et Bintou, je me rends à une agence de voyage, une place est disponible sur le vol de 13 heures à destination de Paris. Je prends par habitude un aller-retour (c’est pas plus cher qu’un aller simple) et je rentre à la maison. J’explique à mon fils que je rentre en France, et franchement je ne sais pas si je vais revenir. Je lui laisse une somme conséquente pour voir venir.
Et je m’envole, sans être inquiété vers Paris.
Chez Louis Berger, Le Norcy comprend ma situation, il compatit, ce problème est récurrent, et il me conseille de prendre quelques jours de repos, de réfléchir, puis de revenir le voir pour lui donner ma décision. Retourner au Mali, ou rester en France? A moi de voir.
Pour prendre ma décision, il faut que je me renseigne sur l’évolution de ma situation à Bamako. En fait, rien ne se passe, c’est évident, ce n’est pas mon départ précipité, effectué dans l’indifférence générale, qui va faire chuter le gouvernement !
Mais je suis anxieux et je veux en savoir plus! Qui devrais-je contacter pour avoir des infos sur mon dossier, si dossier il y a?
Et me revient en mémoire, un repas récent à la maison, auquel nous avions convié une tante de Bintou avec son mari. Sa tante, nigérienne comme elle, était à Bamako, depuis des années. Elle dirigeait, à présent, une ONG humanitaire, qui s’occupait de l’alimentation en eau potable des villages. Un sujet, on s’en doute qui m’intéressait tout particulièrement. Et la discussion venait en particulier sur une pompe manuelle que son ONG avait conçue et qui donnait satisfaction. Elle en avait ainsi installé une, depuis longtemps sur un forage, à proximité de Bamako. Son ONG avait de temps à autre des contrats avec l’administration…

Puis la discussion était venu sur son mari, malien, inspecteur de police à la retraite. Il nous apprend qu’il avait été très proche de Moussa Trore, l’ancien président du Mali. Il l’accompagnait, à l’époque, dans tous ses déplacements au Mali, mais aussi à l’étranger. Il était en effet le Porteur de valise! « Ah oui, mais quelle valise? ».
« Et bien une valise toujours pleine de gros billets de banque! ».
Quelques explications:
En 1960, après les indépendances, les nouveaux présidents des pays africains ignoraient les banques, mais avaient tous de gros paquets d’argent liquide conservé en tas dans une pièce du palais, fermée à clé, cela va de soit. En prévision de coup dur (un coup d’état, par exemple), une autre réserve, ultra-secrète celle là, était placée dans un coffre, enterrée dans le jardin, en un lieu ultra-secret que seul le président et le jardinier connaissaient.
Mais, revenons à nos moutons. Avec son métier de porteur de valise, le mari de la tante de Bintou, faisait parti de tous les cortèges qui accompagnaient Moussa Traore dans ses déplacements. diplomatiques. Et il en était toujours très proche.
Cette proximité lui a valu de passer, après la mort de Traore, sept ans en prison, en plein désert, en plein soleil, du matin jusqu’au soir: il n’y a pas d’ombre à Taoudenit, dans le désert du Nord du Mali.
De retour de prison, il était réhabilité, et nommé inspecteur de police.
Je lui téléphonais donc de Paris pour mon affaire. Il se renseigne et me rappelle, le lendemain. Selon lui aucun problème, je peux revenir et lui même viendra m’accueillir à l’aéroport.
Très bien, merci. Je décide donc de revenir et de reprendre mon job à Bamako, et à l’arrivée, avec mon inspecteur nous passons sans difficulté, la police et la douane.

Les black dollars
Il faut savoir aussi que la CIA américaine, à l’avènement des indépendances avait trouvé judicieux de s’adjoindre comme partenaire, dans plusieurs pays, le président. A ce titre, ce dernier recevait des fonds, par envoi de dollars, dans un coffre blindé spécial aux armoiries de la CEA, avec un aigle en cuivre sur le couvercle (j’en ai tenu un dans mes mains). Ce coffre était protégé par une serrure codée, et si quelqu’un parvenait à la forcer, un dispositif spécial déversait à l’intérieur une encre noire indélébile sur les billets verts, du coup banalisés et inutilisables (j’en ai tenu un dans mes mains). Ces billets, c’étaient les « blacks dollars » d’une valeur nulle.
Le jardinier du palais présidentiel était chargé d’enterrer les coffrets de la CIA, quelque part, dans le jardin du palais. Ça finissait par faire pas mal de fric sous le gazon! Et le jardinier devenait quelqu’un de très important au palais! C’était cependant une position délicate, car s’il perdait la confiance du président, il était exécuté.
En contre-partie en cas de coup d’état, avec le plus souvent mort du président, il était choyé, car lui seul savait ou était le magot. Magot souvent gâché par le jardinier lui même, pour avoir essayé en secret, dès la mort de son président, d’ouvrir le coffret avec les moyens du bord (barre à mine, lourde masse, scies..etc). Ainsi naissaient les black dollars.
Le jardinier dépité par cet échec essayait alors de vendre ses blaks dollars, pour une somme modique, comparée à la valeur nominale escomptée des billets, une fois lavés.

Et les toubabs avaient trouvés le moyen de laver les black dollars. Grâce à un « produit miracle: le mercure rouge! ».
En cours de séances de musculation, invité par Peter, je l’entendais souvent parler à voie basse avec un libanais, aussi musclé que lui, de cette histoire de mercure rouge et de billets noirs. Jusqu’au jour, où par curiosité, ou par appât du gain, c’est moi qui abordait le sujet avec lui. Il me suggérait, si j’avais de l’argent de l’investir dans l’achat des blacks dollars et du mercure rouge.
Je lui demande comment on lave les black dollars. Il m’explique. Tu tends une corde à linge, dans une chambre à l’intérieur de ta maison. En dessous tu disposes une table, ou simplement une planche de la même longueur.
Et tu déroules un rouleau de coton sur sa surface, juste en dessous du fil.
Aprés tu accroches chaque billet avec une pince à linge, sur la corde.
Puis tu prends ta bouteille de mercure rouge et tu verses pour imbiber toute la longueur du coton.
Les vapeurs de mercure montent et nettoient les billets, la couleur noire disparaît et tu deviens fou en contemplant tous ces billets de 100 dollars tout neufs!
Attention, c’est dangereux, il faut faire ça tout seul. Il y en a qui perdent la tête en voyant toute cette fortune. Y a déjà eu des morts à Dakar, entre français et libanais!
De plus il faut être discret, la police fait la chasse aux black dollars. Tu pourrais être accusé d’être un faux monayeur. Ne mets jamais tes mains dessus, prend les gants roses, c’est mieux: pas d’empreintes, et ça te protège du mercure.
Bon je lui remets 500.000 CFA, il va acheter les blacks dollars et il viendra avec demain. Le lendemain , il arrive avec une petite liasse de blacks dollars, et il est accompagné d’un goûteur. C’est ce dernier qui va vérifier l’authenticité des billets. Il passe sa langue sur trois d’entre eux, et acquiesce: c’est ça le bon goût!
Bon, ça va, tout le monde est content.
Et maintenant Peter tend la main vers moi: l’argent pour le mercure rouge et mon déplacement à Abidjan. Je paye. Et Peter avant de partir pour La Cote d’Ivoire, passera chez moi pour y déposer un sac plein de black dollars, non seulement ma part, mais aussi son propre stock qu’il ne veut plus conserver chez lui! OK, no problem.
Bizarrement, il revient une heure après et me rend les billets CFA, en me demandant de faire un chèque. Pourquoi? Je ne m’en souviens plus. Le soir même, de retour du cinéma, je trouve dans ma salle de bain, un sac rempli de billets enveloppés dans du papier chocolat. Mais le sac repose dans une mare d’eau, à côté du lavabo qui déborde. Je ferme le robinet et je vais dormir. On verra demain.
Le lendemain, dimanche, je vide son sac et constate qu’au fond, il y a beaucoup de paquets mouillés. J’enlève les petits paquets, je les ouvrent et je mets les black dollars à sécher. Il y en a plein la salle de bain. Si un inspecteur arrive il m’arrête sur le champ! Et en plus il y a mes empreintes sur les black dollars.

Il revient une semaine après. Bon, Peter, où est le mercure rouge? Dans mon frigo, à la maison. Bon allons y alors. Pas la peine, je te l’amènes demain. Le lendemain, personne. Le surlendemain personne. Puis enfin je le croise en ville. Alors Peter, où est le mercure rouge?
Ecoute, Xavier, c’est pas de chance, quand j’ai sorti la bouteille du frigo, elle a glissé et s’est cassée par terre!!! Il faut que je retourne à Abidjan pour en chercher une autre. Si tu veux je peux en profiter pour acheter d’autres billets, ils sont moins chers là bas.
« Peter, merci, tu es bon copain. Mais tu me prends vraiment pour un con! Espèce d’enfoiré!. »

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