Emission « C’est pas sorcier »
La guerre du Kosovo a eu lieu du 6 mars 1998 au 10 juin 1999, sur le territoire de la République fédérale de Yougoslavie, opposant l’armée yougoslave à l’armée de libération du Kosovo et l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN).
Le 10 juin 1999, les frappes s’arrêtent et les forces serbes commencent à se retirer du Kosovo investi par la force internationale mandatée par les Nations unies, la KFOR, dans le cadre de l’opération Joint Guardian et placée depuis sous l’administration de la Mission intérimaire des Nations Unies au Kosovo en vertu de la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies.
Les conflits entre les deux principales communautés du Kosovo (Serbes et Albanais) sont liés à leurs convictions respectives d’être les seuls occupants légitimes de cette région. En Serbie, les Albanais sont donc perçus comme des étrangers ayant profité de l’occupation ottomane pour coloniser une partie du territoire serbe.
Les Albanais réfutent cette version,
Ils se considèrent en effet comme les descendants des peuples illyriens qui occupaient la région comprise entre la Grèce et la Slovénie, avant l’arrivée des Slaves, et incluant l’actuel Kosovo (Dardanie, en illyrien). Les Albanais estiment donc avoir été victimes d’une occupation militaire à partir de l’installation des Serbes au Kosovo.
L’histoire du Kosovo, vue par les Serbes et les Albanais, repose donc sur deux mythes fondateurs opposés qui relèvent en grande partie de la propagande.
Le conflit débute en 1996 avec la création de l’Armée de libération du Kosovo (en abrégé UCK), qui amorce une campagne de révolution en assassinant des dirigeants, des policiers et des gardes-frontières serbes, ainsi que les Albanais collaborant avec le régime. Les Serbes ont alors pris de sévères contre-mesures policières et militaires. Le point tournant est survenu en mars 1997, lorsque le gouvernement de l’Albanie s’est effondré à la suite de l’éclatement de bulles financières basées sur des systèmes de Ponzi. Des arsenaux ont été pillés et ces armes se sont invariablement dirigées en grand nombre vers le Kosovo, où l’UCK naissante livrait aux autorités serbes une véritable guerre d’indépendance.
La communauté internationale a réagi à la crise en 1998, en créant un « groupe de contact » composé de l’Allemagne, des États-Unis, de la France, du Royaume-Uni et de la Russie qui firent d’ultimes efforts diplomatiques en février 1999 lors de la conférence de Rambouillet à la suite d’allégations de massacres alors que les violences intercommunautaires se multipliaient.
Human Rights Watch a estimé que les forces serbes avaient expulsé 862 979 Albanais du Kosovo vers la Macédoine et l’Albanie, et que plusieurs centaines de milliers de plus avaient été déplacés à l’intérieur de leur propre pays ; au total, plus de 80 % de toute la population du Kosovo (ou 90 % des Albanais du Kosovo) avaient été chassée de leurs foyers.
Lors des négociations à Rambouillet le président serbe Slobodan Milosevic accepte l’envoi d’observateurs internationaux de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et de la Communauté européenne, mais refuse les envoyés de l’OTAN, dont il réfute l’impartialité.
Ce refus conduit l’OTAN à intervenir -sans mandat de l’ONU – en effectuant une campagne aérienne de bombardement appelée opération Force alliée.
Le général Wesley Clark dirigea les opérations depuis le Grand Quartier général des puissances alliées en Europe, qui ont commencé le 24 mars 1999. Celles-ci auraient dû se limiter à des bombardements symboliques durant 3 ou 4 jours pour ramener Belgrade à la table des négociations comme cela s’était passé pour en terminer avec la guerre de Bosnie-Herzégovine mais ces bombardements ont finalement duré 78 jours.
58 574 missions aériennes sur ces 78 jours d’opérations ont causé la perte de deux appareils américains au combat (Un F-117 et un F-16), plus de 800 missiles sol-air ont été tirés par la DCA serbe. On compte 4 397 missions SEAD anti-radar.
Au sol, plusieurs forces spéciales des nations de l’OTAN opéraient dans la discrétion, un membre du Special Air Service a été tué. Des unités terrestres de l’OTAN se sont concentrées en Macédoine tandis qu’une brigade de l’US Army s’est déployée — avec difficulté — en Albanie ; n’ayant pas participé aux combats, elles seront l’avant-garde de la future Force pour le Kosovo (KFOR) à la fin de ceux-ci. La guerre prend aussi une dimension religieuse avec la destruction de dizaines d’églises par l’UCK.
Une guerre de l’information eut lieu entre les parties en conflit. Les forces de l’OTAN avaient préservé les infrastructures du réseau Internet en ex-Yougoslavie tout en tentant de neutraliser les médias serbes, car « un accès libre et ouvert à Internet ne pouvait qu’aider le peuple serbe à connaître la vérité au sujet des atrocités » du régime de Milosevic. Les locaux de la chaîne de télévision serbe RTS sont bombardés « accidentellement » par l’OTAN, le 23 avril 1999, provoquant la mort de seize personnes.
Ces frappes qui durèrent plus de 70 jours semblent mener à une impasse jusqu’à la conclusion d’un accord entre la République fédérative de Yougoslavie et les envoyés spéciaux de l’Union européenne, le président finlandais Martti Ahtisaari, et de la Russie, l’ancien Premier ministre Viktor Tchernomyrdine, le 3 juin 1999. Ils étaient venus présenter à Milosevic les exigences du G8 pour mettre un terme au conflit du Kosovo .
Le cessez-le-feu est accepté par la République fédérative de Yougoslavie le 9 juin 1999 et met fin à la guerre du Kosovo.
Bilan humain
Pertes civiles
En juin 2000, la Croix-Rouge estima que 3 368 civils (2 500 Albanais, 400 Serbes et 100 Roms) étaient toujours portés disparus, environ un an après la fin du conflit.
En 2008, une étude de la commission internationale des personnes disparues, et la Commission des personnes disparues de Serbie a établi une liste de 13 472 noms de victimes tuées dans la période janvier 1998 à décembre 2000. La liste contient le nom et prénoms des victimes, leur date de naissance, la qualification civile ou militaire et le lieu et la date du décès. Il y a 9 260 victimes albanaises, 2 488 victimes serbes ainsi que 1 254 victimes dont la nationalité n’est pas établie.
Civils tués par l’opération Allied Force.
La République fédérale de Yougoslavie a estimé à 1 200 à 5 700, le nombre de victimes civiles causées par les bombardements de l’OTAN. Le secrétaire général de l’OTAN, Lord Robertson, a écrit après la guerre que le nombre de victimes ne sera jamais précisément connu mais donne les chiffres de l’ONG Human Rights Watch comme une estimation raisonnable. Le rapport de Human Rights Watchcompte 488 à 527 victimes civiles serbes dans 90 incidents séparés, le plus important étant la mort de 87 civils lors du bombardement d’une cible militaire à Korisa que les forces serbes auraient fait occuper par des civils.
D’après le témoignage d’un officier supérieur de l’OTAN, l’Alliance camouflait les pertes civiles : « Pour les bavures, nous avions une tactique assez efficace. Pour anesthésier les opinions, nous disions que nous menions une enquête, que les hypothèses étaient multiples. Nous ne révélions la vérité que quinze jours plus tard, quand elle n’intéressait plus personne. L’opinion, ça se travaille, comme le reste ».
Victimes des forces terrestres yougoslaves
Le département d’état américain a utilisé le chiffre de 10 000 victimes pour justifier l’intervention en Yougoslavie.
Des experts en statistique mandatés par le TPIY ont estimé le nombre total de victimes à 10 000. Eric Fruits, professeur à l’université de Portland, s’oppose à cette estimation qu’il a jugée être basée sur des données fausses.
En août 2000, le TPIY a annoncé avoir exhumé 2 788 corps au Kosovo sans se prononcer sur le nombre de victimes de crimes de guerre parmi ces victimes. La KFOR a annoncé que sur les 2 150 corps découverts jusqu’en 1999, environ 850 seraient des victimes de crimes de guerre.
Pertes militaires de l’OTAN
Selon les rapports officiels, la guerre n’a fait aucune victime au sein des militaires de l’OTAN lors des opérations militaires. Cependant, le crash d’un AH-64 Apache américain en Albanie a causé la mort de 2 soldats de l’OTAN, David Gibbs et Kevin L. Reicher Un membre du Special Air Service aurait été tué en Yougoslavie.
Pertes militaires serbes
L’OTAN n’a pas fait d’estimation officielle du nombre de victimes militaires. La Yougoslavie a estimé le nombre de victimes militaires à 462 soldats, ainsi que 299 blessés, lors des bombardements de l’OTAN.
Pertes militaires de l’UCK
Certains rapports donnent le nombre de 1 000 victimes militaires au sein de l’UCK. Cependant, les pertes militaires de l’Armée de libération du Kosovo sont difficiles à estimer car il est difficile de savoir qui était un combattant de l’UCK et qui ne l’était pas. L’armée serbe estimait tout Albanais armé comme membre de l’UCK, donc une victime comptée comme civile par les Albanais pourrait être comptée comme militaire par les Serbes.
Conséquences
L’OTAN a utilisé 15 tonnes de munitions à uranium appauvri lors des bombardements sur la Serbie. Un rapport a établi que l’utilisation de ces munitions a provoqué une augmentation considérable des leucémies au Kosovo et dans les régions voisines.
En 2010, un rapport d’enquête du Conseil de l’Europe fait par le parlementaire suisse Dick Marty a révélé que durant la guerre, l’UCK avait organisé un trafic d’organes prélevés sur des prisonniers serbes[47]. Les captifs étaient emmenés en Albanie où ils étaient tués avant que leurs organes, principalement des reins, soient retirés et vendus à des cliniques privées étrangères.
À la fin de la guerre, les guérilleros albanais de l’UCK se sont livrés à des exactions contre les populations serbe et rom du Kosovo, ainsi que contre les membres de l’opposition albanaise qui leur étaient défavorables. L’Union européenne a mis sur pied en 2011 une commission chargée d’enquêter sur la question. En juillet 2014, le procureur Clint Williamson a confirmé à Bruxelles que les minorités serbe et rom du Kosovo avaient été victimes d’une opération de purification ethnique planifiée comprenant des meurtres, des kidnappings, des violences sexuelles et des déportations.
À la fin du mois d’avril 2001, les crimes de guerre commençaient tout juste à faire l’objet d’une enquête et à cette date, l’Armée populaire yougoslave avait inculpé 183 militaires et mis en examen 62 autres pour ceux-ci, sans toutefois inclure dans ces investigations les forces spéciales de police ou les forces paramilitaires serbes.
Lui reprochant, outre son autoritarisme, une perte de tous les territoires promis dans ses discours nationalistes, la population serbe vote contre Milosevic et lui fait perdre les élections présidentielles en septembre 2000 ; il fut arrêté le 31 mars 2001 pour être jugé devant le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, mais il décédera avant la fin du procès en 2006.
Le coût financier des opérations militaires au Kosovo pour (pré et post conflit compris) a été pour les États-Unis de 3,260 milliards de dollars pour l’année fiscale 1999 et 1,909 milliard pour l’année fiscale 2000.
Depuis la fin de la guerre, près de 200 000 Serbes, Tziganes et non-Albanais ont été contraints à l’exil hors du Kosovo.
Le 17 février 2008, le Kosovo proclame unilatéralement son indépendance de la Serbie. Le Kosovo est reconnu par 76 États dont les États-Unis et 22 pays de l’Union européenne (au 18 juin 2011).
A l’heure où j’écris ces lignes le Kosovo célèbre les 20 ans de la fin de la guerre.
Des larmes de joie ou d’humiliation: Albanais et Serbes du Kosovo gardent un souvenir vif de ce 12 juin 1999, quand les troupes de l’Otan ont commencé à se déployer, mettant un terme à la guerre.
Conséquence de la résolution 1244 de l’ONU votée deux jours plus tôt qui plaçait le Kosovo sous protection internationale, ce déploiement, dont le 20e anniversaire est célébré actuellement, marquait la fin de l’ultime guerre intercommunautaire dans l’ex-Yougoslavie.
Opposant depuis 1998 les forces serbes et une guérilla indépendantiste kosovare albanaise, ce conflit avait coûté la vie à plus de 13.000 personnes ( 11.000 Albanais, 2.000 Serbes et quelques centaines de Roms) tandis que plus de 800.000 Kosovars albanais s’entassaient dans des camps de réfugiés.
Moins de quatre ans après la fin des guerres de Bosnie et de Croatie, les atrocités contre les civils et l’épuration ethnique ont entraîné une campagne de bombardement occidentale, menée durant trois mois sans mandat de l’ONU.
L’homme fort de Belgrade, Slobodan Milosevic, avait finalement jeté l’éponge et ordonné le retrait de ses troupes de cette province méridionale majoritairement peuplée d’Albanais, mais que les Serbes considèrent comme leur berceau historique et religieux.
« Explosion d’émotions »
Depuis, autant la défiance serbe est forte, autant la popularité des Occidentaux et notamment des Américains est immense parmi les Kosovars albanais.
La chanteuse Shpresa Gashi, 68 ans, raconte comment elle a appris la nouvelle de l’entrée des forces de l’Otan, dans un camp de réfugiés: « Il y avait de l’allégresse, une explosion d’émotions », se souvient-elle. « C’est la première fois que je voyais de la joie parmi les réfugiés du Kosovo ».
Edita Brajshori, une coiffeuse de 40 ans, se souvient du « plus beau jour de sa vie » et de la musique albanaise s’échappant des fenêtres après des années de répression culturelle. « Un jour magnifique, sans aucun uniforme serbe à Pristina », renchérit Esat Rexhepi, 70 ans, qui avait revêtu son « plus beau costume et mis une cravate » pour accueillir les troupes occidentales.
Retours et exils
Ex-prisonnier politique, Behgjet Shala, 55 ans, était rentré chez lui en emboîtant le pas à un convoi de l’Otan. Peu avant Pristina, il se souvient avoir croisé une « colonne serbe de civils, avec des tracteurs, qui quittaient le Kosovo ».
« Certains revenaient à la maison quand d’autres la quittaient… J’avais pleinement conscience qu’il n’y aurait pas de retour vers le passé, que le Kosovo ne serait plus jamais sous la domination de la Serbie », dit-il.
Pour les Serbes du Kosovo, installés là depuis des siècles, ce 12 juin est un jour d’amertume et de peur, mais ⁷de quitter le Kosovo pour se réfugier en Serbie.
« Je pleurais… Je regardais notre armée se retirer et des étrangers arriver », dit Dobrosav Jakovljevic, un retraité de 73 ans. A ses yeux, « c’est Milosevic qu’il faut blâmer pour tout ça », mais « les Albanais ont tout ce qu’ils voulaient quand nous avons tout perdu ».
Le père de Jelena Krivokapic, une économiste de 43 ans, lui avait demandé de ne pas sortir à Mitrovica, dans le nord, le temps de jauger la situation: « J’ai regardé de la fenêtre le départ des troupes serbes », se souvient-elle.
Slavisa Jokic, 45 ans, a elle fui Pec (sud): « Des gens étaient tués en plein jour sans qu’ils (l’Otan) ne bougent le petit doigt », affirme cette ouvrière.
Mais sans l’interposition des troupes serbes, notamment lors des émeutes de 2004 dans la ville divisée de Mitrovica, « aucun Serbe ne serait resté », dit Dobrosav Jakovljevic.
Selon les estimations de Belgrade, quelque 120.000 Serbes vivent toujours au Kosovo, un tiers dans le nord et les autres dans une dizaine d’enclaves.
Aux yeux de Djordje Jovanovic, un professeur de 46 ans de Mitrovica, la présence des quelque 4.000 soldats de la Kfor toujours présents, reste indispensable: « S’ils n’étaient pas là, il y aurait une autre guerre ici. »
Les relations restent exécrables entre Pristina et Belgrade qui ne reconnaît toujours pas l’indépendance proclamée en 2008 par son ex-province.
Un mois après la fin de la guerre
Un mois après la fin de la guerre….je suis donc en Albanie.
Acted me demande me rendre au Kosovo, à Mitrovicca, capitale régionnale à cheval sur le fleuve Ibar, habitée au Sud par des kosovars musulmans d’origine albanaise, et au nord par d’autres kosovars orthodoxes d’origine serbes. Tout serbe se rendant dans la partie albanaise de la ville risquait d’être lynché; et tout albanais se risquant dans la partie serbe, idem.
Partis le matin de Peshkopi, nous nous arrêtons au pied du mont Geravica pour déguster un bon bordj, bien chaud et énergétique, la soupe nationale de l’Albanie.
Puis nous continuons notre route vers la Macédoine; la contrée est montagneuse, le froid est intense et les rivières gelées laissent entrevoir ça et là de belles cascades de glace. Les sapins sont recouverts de neige.
Nous passons la frontière albanie/macédoine sans même nous arrêter: les multiples logos – HCR – collés sur le capot, les portières et même le toit de notre Toyota 4×4 valent largement un passeport.
Arrêt à Sopje
Il ne nous reste plus qu’à descendre sur Skopje, la capitale de la Macédoine, que nous atteignons la nuit tombée. Par terre la neige est fraîche, mais avec la nuit le froid s’est amplifié.
Nous nous garons à deux pas d’un grand bar-restaurant, et à peine entrés nous sommes pris par un flot de musique, un tourbillon de danse. De jolies blondes grandes, élancées vont et viennent, le sourire aux lèvres, élégantes dans leur pourpoint rouge avec chacune son petit bonnet de Père Noël.
Me revient alors le quatrain d’Omar Khayyam et je déclame à la serveuse:
« Rien ne m’intéresse plus. Lève-toi, pour me verser du vin! Ce soir, ta bouche est la plus belle rose de l’univers… Du vin! Qu’il soit vermeil comme tes joues, et que mes remords soient aussi légers que tes boucles! »
J’aurai pu ajouter « ce dont j’ai vraiment envie, puisque nous sommes à la veille de Noël, c’est de mettre mon petit Jésus dans ta crèche, Baby ».
« Sorry Sir, but I don’t understand french; what do you really want? »
Bon, finalement nous nous retrouvons chacun avec une pizza et un verre de rosé.
Un bon café bien serré et il nous faut reprendre la route vers le Kosovo.
Nous venions de quitter l’enfer, l’Albanie, un pays en plein sous développement (l’Afrique blanche en quelque sorte, sortant tout juste d’une guerre civile, et l’ on y entendait encore la nuit des rafales de kalachnikov). Nous ne sommes restés qu’une heure à Skopje, capitale d’un pays en paix, la Macédoine, et il nous fallait retourner maintenant vers un autre enfer, le Kosovo.
Un..deux.. trois..let’s go!
Mitrovicca
Arrivée à minuit coté muslim, nous nous rendons immédiatement à la maison turque louée par ACTED pour y établir sa base opérationnelle, pour la moitié albanaise de la ville. Pour l’autre moitié, la partie serbe de la ville, une villa a été louée comprenant, outre les commodités habituelles, de nombreuses pièces, en prévision de l’extension des activités à venir. J’ai personnellement la charge d’identifier certaines de ces activités, auprès des bailleurs de fonds internationaux; lesquels maintenant que la guerre est finie commencent à entrebailler leurs portefeuilles.
Bon, il est minuit, la maison turque est fermée à clé, et donc il faut trouver un endroit où faire dormir le chauffeur, qui ne peut se joindre à nous en zone serbe, car il est albanais. Soudain un volet s’ouvre au premier étage de le maison d’en face.
Apprenant que nous sommes de l’ONG Acted, l’homme descend et nous reçoit chez lui. Selon lui tout est fermé en ville, et nous ne trouverons rien pour loger Murteza. A moins que….il téléphone et un albanais arrive peu après. Îl nous ouvre la porte d’un garage contigu. Va -t-il proposer à Murteza de dormir dans un garage? Et là surprise, surprise: derrière une deuxième porte fermée à clef, il appuie sur l’interrupteur et….un éclairage rouge feutré nous révèle l’intérieur de ce garage très particulier.
Ici se cache une pièce luxueuse, avec fauteuils et divan en skaï rouge, un grand aquarium rétro-lumineux, et un bar au fond de la pièce. Puis sur les murs des portraits de jolies femmes dans des poses plutôt suggestives.
Ensuite il nous invite à le suivre à l’étage, et nous fait visiter deux chambres à un lit, du même aspect. Et nous terminons par la plus belle, toujours dans les tons rouges. Ici, un grand lit deux places, avec un grand miroir au plafond.
Trés bien, une petite chambre suffira pour Murteza. Ha! ce n’est pas possible, les petites sont déjà réservées? Bon allons pour la grande. Il faut payer d’avance? OK, petit marchandage, et finalement je paye.
Allez, bonsoir tout le monde. Monsieur merci de nous avoir dépannés. À demain Murteza et si tu y vas, n’oublie pas de « sortir couvert ».
Le patron sort avec nous, verrouille à clef et Murteza reste enfermé, seul dans son boxon.
Quant à nous, nous franchisson le fleuve, saluant au passage le soldat de la Kfor qui garde l’entrée du pont. Nous pénétrons en zone serbe, et notre chauffeur, serbe lui-même nous dépose devant la villa Acted, où le gardien me fait entrer et m’attribue une chambre libre. 02 h il est temps de se coucher et dormir.
Le lendemain matin, on me réveille à 8h et je me pointe vers la salle à manger pour le petit déjeuner. Je serre la main au Colonel, qui dirige le programme de distribution de nourriture aux populations des deux bords, puis je salue Jacques chargé de délivrer les pains d’un kilo aux réfugiés, et Philippe qui est logisticien. On se présente rapidement car Rémy, le n⁰2 d’Acted nous attend à la maison turque pour un briefing radio par valise-satellite avec Marie Pierre directrice à Paris. Nous avalons notre petit dej, et avec l’unique voiture d’occase, de l’ONG nous dirigeons vers le fleuve Ibar qui sépare le Kosovo en deux: partie serbe au Nord, partie albanaise au Sud.
Comme je l’ai déjà signalé, chacun doit rester dans sa zone, sous peine d’être lynché par la foule. Et il faut faire attention aux snippers!
A la lisière de la ville serbe, sur l’artère principale qui descend vers le fleuve, deux chars de la Kfor ont pris position, et resteront là toute la journée, tous les jours.
Situés un peu en hauteur et bien dégagés de la ville serbe, ce sont de bons points d’observation de la ville musulmane.
Voilà une présence qui rassure les français que nous sommes.
Les chars sont finalement proches d’un grand immeuble d’une dizaine d’étages, où résident les snippers serbes.
Nous nous réunissons dans le salon. On commence par un tour de table rapide: chacun dit brièvement qui il est et ce qu’il fait. On commence par moi, j’expose brièvement ce que vous savez déjà, cher lecteur. Puis, c’est le Colo qui a en charge l’aide au redémarrage des boulangeries du Kosovo et Jacques qui conduit chaque jour son camion pour la distribution des pains dans les villages serbes et musulmans. Enfin le logisticien nous parle brièvement de ses problèmes de logistique, en insistant sur le fait que le Kosovo est en plein boum économique du fait des activités de reconstruction financées par les bailleurs de fonds internationaux. Mais les semi-remorques chargés à plein restent des jours, voir plus d’une semaine, bloqués par les formalités de douanes à la frontière avec la Macédoine. Les demandes sont urgentes car l’hiver arrive et il s’agit de colmater les brèches.
D’où les problèmes d’approvisionnement en ciment, bois, vitreries…etc.
Enfin Rémy indique qu’Acted est parmi les premières ONG arrivées au Kosovo, et qu’il est urgent de formaliser nos projets très rapidement, pour obtenir les fonds nécessaires auprès du Groupe des Bailleurs de Fonds Internationaux: la Task Force de l’ONU.
Nous sommes encore en avance sur les autres, alors ne perdons pas cette avance.
Rendez vous après demain ici même, avec vos projets en main. OK?
Tout le monde est OK. Et moi, j’ai déjà dans mon ordinateur 4 projets pour l’Albanie. Je montre tout ça à Rémy, déjà plus ou moins au courant à travers les rapports que je lui envoyais régulièrement au siège à Paris, toutes les semaines.
Remy: « c’est bon, on fait ce matin les tirages papier, et les reliures spirales et demain matin tu pars avec Murteza à Pristina pour remettre tes projets à la Task-Force ».
Au fait, quels sont ces quatre projets.?
– Réhabilitation et extension du réseau d’eau potable de Peshkopi.
– Campagne de mesures de débits et de pressions dans le réseau actuel
– Recherche de fuites sur l’adduction en acier russe de 300 mm de diamètre.et de 34 km de longueur.
– Nettoyage de la ville de Bulghize.
Puis on retourne à notre maison – du coté serbe- et mes collègues me la font visiter. Deux étages, le rez de chaussée pour le propriétaire et le premier pour nous. Il n’y a pas de chauffe eau dans la salle de bain: simplement un grosse résistance russe, qu’il suffit immerger dans l’eau froide et de brancher sur le secteur. C’est simple, dangereux, mais efficace: l’eau de la baignoire est chaude en quelques minutes.
L’appartement est plein de matériel électroménager et audio-visuel, raflé dans les maisons des albanais lors des attaques serbes et revendus au marché à bas prix. Une fois vidées de tout objet de valeur, les maisons sont passées au lance-flamme, et le lendemain un bull dozer serbe viendra réduire le village à une forêt de monticules pierreux. Quant aux habitants s’il sont valides et chanceux ils échaperont à la mort. S’ils sont alités ils périront sous les décombres.
Les maisons albanaises à recontruire.
Ce que je relate ici, c’est le témoignage du maire d’un village proche où je me suis rendu. Après son récit des évènements de la sinistre nuit, où son village a été entièrement détruit, le Maire fait un signe à un jeune homme qui monte sur le haut d’un tas, et nanti d’une masse il tape, tape et tape encore sur les pierres. Le maire nous invite à prendre des photos.
La silhouette du gosse et la masse se détachent sur le ciel bleu. Le poids des mots, le choc des photos!
A mon tour de parler d’Acted et de notre programme de réhabilitation et de reconstruction des maisons.
Mr.le Maire indique que la seule assistance humanitaire qu’ils aient reçu, jusqu’à présent c’est un bloc de 4 toilettes, ultramodernes, envoyés par la coopération japonaise. Dont il ne comprennent pas le fonctionnement.
Bon, nous débutons notre liste des maisons à reconstruire entièrement: 60 unités dans ce village. Le total à Mitrovicca est de 350 maisons à reconstruire.
Pristina
Le lendemain matin, Murteza me conduit de bonne heure au siège de la Task Force de l’ONU à Pristina la capitale du Kosovo.
J’ai pris soin de me vêtir du gilet officiel du Haut Commissariar aux Réfugiés. Je décide de me présenter directement au bureau du Directeur de la Task Force, et je m’attends à devoir franchir plusieurs étapes avant d’y parvenir. Mon plan est simple il vaut mieux avoir affaire au Bon Dieu qu’à ses saints. A ma grande surprise je franchis le barrage, d’un pas décidé, sans être interpellé par les gardiens. Il me reste à traverser une grande cour, à pénétrer dans le bâtiment des bureaux et à progresser sur trois étages jusqu’au bureau du Directeur. Je passe tous les obstacles sans même être inquiété par les agents de sécurité qui ont même l’amabilité de me guider vers mon objectif.
Me voilà devant la dernière étape, le bureau des secrétaires du Directeur de la Task Force.
Alors là, je suis pris à partie par la chef du secrétariat, qui me questionne en me toisant d’un air hautain, tout en se limant les ongles: « Monsieur, que voulez vous? ».
» Je travaille pour une ONG française: ACTED, association pour la coopération technique et le Développement, et je suis venu pour rencontrer le DG de la Task Force*.
« Vous avez rendez vous? Et comment êtes vous parvenu jusqu’ici? Comment avez vous franchi les contrôles de la Sécurité? »
» On ne m’a rien demandé. Sans doute parce que je porte le gilet du HCR.. »
» Et où avez vous eu ce gilet? Bon de toute façon, je n’ai pas l’intention de perdre mon temps avec une PETITE ONG ». Et elle continue à se limer les ongles.
Mon sang ne fait qu’un tour:
» pas si petite que ça chère madame, ACTED travaille actuellement à Mitrovicca donc au Kosovo, et en Albanie, en Afghanistan, et aussi Ouzbekistan. Ici, nous avons d’excellentes relations avec le général de la Kfor et avec Bernard Kouchner (qui sera nommé peu après DG de la Taskforce).
Quant à mon gilet, je l’ai acheté à la boutique du HCR, dans le Palais des Nations à Genève au bord du Lac. Et il m’a bien servi au cours de deux missions que j’ai assumées, en tant que coordinateur des ONG internationales en Guinée Forestiaire, et au Rwanda.
Le conflit du Rwanda entre les Hutus et les Tutsi: 800.000 morts, vous en avez entendu parler ici dans votre bureau? »
Elle ne répond pas mais arrête de se limer les ongles, et décroche son téléphone, parle avec le DG, puis se dirige vers son bureau pour m’ouvrir la porte.
« Bien, Monsieur veuillez entrer, le DG vous reçoit ».
Le DG est un homme aimable et courtois, comme il sied aux Hauts fonctionnaires des Nations Unies, et nous parlons d’ACTED, et des projets que nous concoctons en Albanie et au Kosovo.
Je lui présente les projets chiffrés que j’ai préparé. Il les survole et se montre satisfait, mais il souhaiterait aussi des projets qui permettraient de remettre les gens au travail.
« Eh bien, avec 350 maisons à reconstruire à Mitrovicca, ça devrait permettre de mettre pas mal de gens au travail! …Dans un premier temps nous allons autant que possible travailler à la winterisation (isolement contre le froid des maisons endommagées) ». D’autres ONG se joindront à nous, comme celle par exemple de l’abbé Pierre, qui s’installe actuellement à Mitovicca ».
Le DG: « Bien. A priori nous pourrions mettre à disposition d’ACTED, pour le début, autour de 350.000 USD pour vos projets au Kosovo et en Albanie. Je vous suggère de vous rendre chez IRC (International Relief Control) tout de suite,ici à Pristina ». Il leur téléphone..ils nous attendent.
Satisfait, je remercie et je prends congé.
Murteza me conduit au siège d’IRC. Plusieurs ONG sont là, pour signer une convention de financement, et je fais la queue.
Mon tour venu une charmante jeune suédoise me reçoit, elle dit connaître ACTED, et déclare nous faire confiance. La Convention, très simple, est rapidement signée, les fonds seront virés sur notre compte en banque à Paris.
Et voilà! Mission accomplie, nous pourrons rentrer à Mitrovicca, dès demain.
Le lendemain, je reprends la route avec Murteza, direction l’Albanie, avec un arrêt à Bulghize puis Peshkopi pour y démarrer nos projets humanitaires, à savoir le ramassage des ordures à Bulghize, l’amélioration de l’AEP (alimentation en eau potable) à Peshkopi. Je relate ci-dessous comment se sont déroulés nos deux projets.
a) Amélioration de l’AEP (alimentation en eau potable) à Peshkopi.
En l’an 2000, l’AEP de Peshkopi, est assurée par une conduite unique d’une quarantaine de kilomètres de longueur transportant l’eau d’une source issue d’un glacier sur le flanc du mont Korab, point culminant de l’Albanie. Son débit important pendant la saison chaude devient faible en hiver à cause du gel.
De plus, à la traversée des nombreux villages disséminés le long de son cours, des prélèvements sauvages réduisent considérablement le débit d’eau potable parvenant à Peshkopi.
La Water Cie a organisé une première visite, jusqu’au point le plus sensible de l’adduction : un tronçon d’une centaine de mètres où la grosse conduite, initialement enterrée, mais à présent à l’air libre car dégagée par l’érosion, oscille au gré du vent. Il s’agit donc de consolider ce passage.
Nous décidons de construire plusieurs supports en pierres maçonnées. Le chantier pourra débuter dès demain, avec l’équipe de la Water Cie…Puis nous visitons un village proche, desservi en eau par cette canalisation et où une famille nous invite à déguster la spécialité locale : le yaourt de chèvre. Nous les avisons des travaux que nous allons effectuer le lendemain et leur demandons de se joindre à nous comme main-d’œuvre. Quant au yaourt il a une bonne consistance mais sent un peu trop la biquette….
Nous revenons donc le lendemain matin, avec les ouvriers de la Water Cie, mais surprise, là devant nous la conduite est éventrée et l’eau s’en écoule à grand flot. Pas de doute, elle a été dynamitée durant la nuit, et l’eau captée à la source s’écoule en pure perte sur le sol.
Du coup on comprend que toute la ville de Peshkopi, située 40 km plus bas est privée d’eau potable. Une petite enquête dans le village voisin ne donne aucun résultat. Mais pour la Water Cie, le message est clair : Ne plus s’occuper de cette conduite ! En Albanie, on utilise la dynamite pour se faire entendre. Dynamite héritée des prospections minières très développées du temps de Hocha, mais maintenant à l’abandon.
Toutefois le lendemain matin on effectuera les réparations pour rétablir l’eau vers Peshkopi, mais on devra en rester là.
Et les villages le long de l’adduction pourront continuer à effectuer leurs prélèvements sauvages, se déversant en permanence sur le sol et gelant sur place, au détriment de l’alimentation en eau potable de Peshkopi, insuffisante de ce fait.
Nous décidons finalement de nous concentrer sur la réparation des fuites dans l’agglomération de Peshkopi et nous devons établir d’abord le plan des vieilles canalisations défectueuses à changer.
Avec la valise de communication par satellite, je parviens à joindre le siège à Paris, qui propose de nous adjoindre un spécialiste de la recherche de fuites, avec le matériel nécessaire. Celui-ci arrivera la semaine prochaine à Tirana. En attendant nous nous rendons à Bulqize pour démarrer, comme prévu le nettoyage de la ville.
b) Le nettoyage de Bulghize, et le ramassage des ordures :
C’est une ancienne ville minière, délaissée depuis la fermeture de toutes les mines d’Albanie. Bâtie selon le modèle soviétique elle comprend plusieurs séries d’immeubles cubiques de quatre ou cinq étages, n’étant reliés à l’époque que par des allées en terre. Il n’y a quasiment pas de villas, rien que des immeubles cubiques.
Au pied de ceux-ci les ordures, jetées par les fenêtres s’entassent depuis des années. La ville est vraiment sale et nauséabonde.
Notre tâche consistera à transporter toutes ces ordures jusqu’à un grand trou que nous creuserons dans la terre, un peu à l’écart de l’agglomération.
Puis à mettre en place à proximité de chaque immeuble des bacs à ordures en béton, dans lesquels les habitants entreposeront leurs détritus. Une tournée de camions sera organisée par la Mairie pour les récupérer et les transporter au centre d’enfouissement technique.
Nous commençons donc par creuser, à l’aide d’une tractopelle de la Mining Corporation, une excavation de 20.000 m3 capable de recevoir les ordures de la ville durant plusieurs années.
Pour chiffrer et réaliser ces travaux, j’avais dès mon arrivée à Tirana, embauché un traducteur de français en albanais pour préparer et signer avec notre partenaire MINING Inc., un contrat précisant le montant des travaux et les délais de réalisation. Le problème est que ce dernier est rédigé en albanais. Je signe donc un document, rédigé en albanais, par un albanais, pour un albanais, faisant confiance à mon traducteur albanais !
Mais dans un contrat, le plus important ce sont les montants, et par bonheur nos chiffres sont des chiffres arabes, donc latins, langue internationale, quoique morte depuis longtemps. Bref, je n’y comprends pas grand-chose…Confiance, confiance.
MINING Inc. va utiliser les engins de l’Administration des Mines encore en état : Pelleteuses, chargeuses et camions. En deux semaines le travail est réalisé. Les quartiers sont nettoyés et les déchets enfouis à l’écart de la ville. Avec les fonds transférés de Paris, je règle notre partenaire, rubis sur l’ongle.
Maintenant il nous reste encore à réaliser les containers en béton au pied de chaque immeuble pour que les locataires y déposent régulièrement leurs ordures. Notre partenaire propose une solution bien moins onéreuse que de couler du béton : Récupérer des éléments d’ancien murs en L, préfabriqués, abandonnés et parsemés à foison dans la nature, donc gratuits, si ce n’est le coût du transport. Puis en les groupant deux par deux, on constitue des conteneurs acceptables et rapidement mis en place. Sur chacun, une petite porte en fer soudée sur le côté, permettra de les vider à la pelle, pour charger les détritus lors du ramassage par camions. Il appartiendra aux habitants de s’organiser pour collecter régulièrement les fonds pour payer le transport mensuel par ces camions. Avec la méthode adoptée, tout cela s’est mis en place assez rapidement, et nous passons, Mr. Le maire et moi-même à la télévision locale, pour en aviser les populations. En Albanie, chaque centre urbain à sa propre chaîne de télévision locale. Héritage de l’ancien dictateur Hoxha, qui réalisait sa propagande auprès des populations, mobilisées en totalité pour les travaux d’intérêt national (comme par exemple la construction des fameux bunkers).
À la télévision, le maire m’invite à un petit speech et pour faire bonne figure, dans un anglais sommaire je le remercie de sa coopération et de l’excellente ambiance qui a régné entre nous durant les travaux. In English : « a very good mood ».
Là, je vois et j’entends que tout le monde se marre, non seulement dans le studio, mais aussi dans toute la ville. La ville de Bulqize est secouée par une immense rigolade ! Je suis un peu étonné, sans comprendre pourquoi. Enfin, il vaut mieux faire rire que pleurer, n’est-ce pas ?
Jusqu’au moment où Guence, notre partenaire, m’explique qu’en albanais » a very good mood » donne phonétiquement « a very good mout », Ç’est à dire, « une très bonne merde ».
No comment !
Maintenant, après en avoir fini avec la réhabilitation des vestiaires du stade de foot de Pristina, je suis de retour à Mitrovicca, où de nombreux snipers sévissent.
Dans l’alignement du pont côté Nord, on trouve un immeuble de 6 étages, avec des appartements ayant vue sur le pont de Mitrovica. Ç’est dans plusieurs d’entre eux que se positionnent les snipers serbes, qui peuvent ainsi tirer sur les quartiers albanais de Mitrovicca. Passant au pied de cet immeuble, je suis abordé par un serbe, attiré par mon gilet multipoches HCR et on discute de la situation. je pose des questions sur les snipers. “Sont-ils réellement, actuellement dans cet immeuble ?“ Réponse : « oui, et si ça vous intéresse, je vous emmène en voir un. Ça vous coûtera 20 deutschemarks, mais nous resterons à l’entrée de l’appartement, vous ne devez pas lui parler, il sera près de la fenêtre, et vous tournera le dos. Ne vous approchez pas de lui. Ok, mais ce n’est pas dangereux ?Non, à condition de respecter les consignes. Alors allons-y. Mais pas de tir en ma présence. Ok ? Bien sûr, pas de tir. Ok ». Nous montons au quatrième étage : L’intérieur est délabré. Plus de porte, ni de fenêtre.
Nous restons, comme convenu à l’entrée de l’appartement. Le snipper est là tourné vers la fenêtre, il est en train de nettoyer son arme. Effectivement il nous tourne le dos, et ne nous regarde pas. Mon guide va lui remettre les deutschemarks et revient vers moi. J’ai droit à 3 minutes d’observation silencieuse. Je devine, depuis la porte d’entrée par la fenêtre, le tablier du pont qui franchit l’Ibar, et derrière les quartiers albanais… avec les passants qui sont les cibles potentielles du sniper. Celui-ci est en train de nettoyer son fusil. Après 3 minutes nous redescendons, comme prévu.
Expérience concrète, qui fait froid dans le dos. Je ne soupçonne pas à ce moment-là que quelques jours plus tard, à mon retour de Pristina, j’allais pousser l’expérience beaucoup plus loin.
Le pont de Mitrovicca, qui sépare les serbes des Albanais, a été la scène de clash répétitifs la semaine dernière. Les Albanais accusent la France de prolonger la partition au bénéfice des Serbes.
Un sniper Albanais était mort, et quatre autres avaient été capturés après un combat contre les gardiens de la paix de l’ONU dans la ville. Deux soldats français avaient été touchés par un sniper, plus tôt dans la journée, lors d’ affrontements violents entre la population locale et les troupes de la Kfor au Kosovo, après les attaques déclenchées par l’OTAN, fin Juin, contre les forces de sécurité serbes. La KFOR a alors imposé un couvre-feu de 6 p.m. à 6 a.m. et ceci avec effet immédiat pour 7 jours, pour aider à la restauration de l’ordre public.
Après avoir réalisé avec succès mon fund-raising auprès de la Task Force de l’ONU, dès l’entrée à Mitrovicca, je réalise que la ville est déserte, vue l’application du couvre-feu. Notre maison turque est fermée à clé. J’ai bien envie de traverser l’Ibar, par le pont pour rejoindre mes copains de l’ONG, qui résident dans la partie serbe, que je connais un peu. J’ai surtout envie de fêter avec eux le succès de ma journée à Pristina !
Je dis à Murteza de me laisser près du pont, et d’aller dîner, sans s’occuper de moi. Je lui laisse le temps de s’éloigner, et je me dirige vers la sentinelle de la Kfor, debout près d’un feu de bois, et harnaché de tout son attirail : Casque, gilet pare-balle etc.
-Salut, ça va ? Je m’appelle Xavier, je suis français, comme toi ? .
-Oui, je m’appelle Hiro. Je suis français, Tahitien.
-Ça alors ! Ia Orana ! Ecoute, j’arrive de Tahiti où j’ai vécu 11 ans !
Et nous discutons du pays, le Fenua, où il a été recruté par la Kfor pour le Kosovo.
Témoignage de Hiro : :
« Une expérience unique et inattendue », . Jeune engagé des forces françaises à Mitrovica au Kosovo, ce jeune Tahitien, placé sous le secret-défense, a accepté de raconter ses terribles premières classes dans l’armée. Un témoignage étonnant et plein d’humanité. Il vient de vivre les quatre mois les plus durs de sa vie en tant que soldat de l’armée française au Kosovo.
Hiro, à 21 ans, ne s’attendait sans doute pas à être plongé aussi rapidement dans les dures réalités militaires internationales. Un an après le déclenchement des bombardements de l’OTAN sur la Serbie, tout ou presque reste à régler au Kosovo. La tension entre Serbes et Albanais est toujours aussi vive, particulièrement dans la ville de Mitrovica où la cohabitation est délicate à mettre en place. C’est là que les troupes françaises de la Kfor tentent d’assurer les nécessaires opérations de maintien de l’ordre. .
Des opérations par -30 ° : :
C’est là aussi que Hiro, alors engagé dans l’armée depuis tout juste six mois, est « débarqué » le 6 décembre 1999 au seuil d’un hiver de tous les dangers.
« C’est vrai que j’ai un peu flippé en partant. Après l’atterrissage de l’avion en Macédoine, il y avait du brouillard sur la route du Kosovo, on ne distinguait rien du paysage. Déjà la tension était là. Mais le plus dur est arrivé un mois plus tard », raconte Hiro. .
Début janvier en effet, la température chute atrocement. « Il fallait se bouger des fois par -30 degrés, et Serbes et Albanais profitaient de ces dures conditions pour commettre des exactions. Comme par exemple, lorsque les Serbes ont fait dérailler un train albanais aux portes de la ville », explique Steve. Avec d’autres soldats, il interviendra rapidement pour rétablir l’ordre.
Le plus pénible – « en dehors de cette tension permanente qui vous oblige à la vigilance jour et nuit » -, Hiro l’aura vécu avec le relevage de blessés, dont deux amis chers. « Ils ont été visés par des snippers qui d’ailleurs ont été retrouvés par la gendarmerie peu après », précise-t-il, avant de lâcher tel un leitmotiv: « De toute façon, tant que les deux populations serbe et albanaise ne seront pas réunies, la paix sera impossible au Kosovo. C’est là-dessus qu’il faut encore travailler. » Et le jeune soldat de conclure : « Ça fait quand même mal au cœur quand j’y pense. J’ai vu des photos de Mitrovica avant la guerre. C’était une superbe ville avec de belles villas et les gens avaient l’air heureux. Comment peut-on en arriver là ? Moi, en tous cas, je n’oublierai jamais ce Kosovo-là… »
– Et sinon, Hiro, pour vous le job ç’est pas trop dur ?
– Écoute, Xavier: la nuit, le problème, c’est le froid. Et dans la journée, ce sont les gosses qui se moquent de nous, et nous crachent au visage. On doit supporter tout ça sans rien dire. Il y a aussi les jets de pierres lors des manifestations. Et on n’a même pas le droit de baisser la visière du casque ! Puis après un moment :
– Dis-moi, Hiro, tu crois que je peux passer le pont ? Il y a des snipers en face, dans l’immeuble ? Je voudrais rejoindre mes copains de l’ONG ACTED.
– ACTED ! Mais on vous connait bien. Parce que, une partie de notre mission, c’est de veiller sur les humanitaires. Tu peux passer, vas-y … .
– Et pour les snipers en face, avec tous ces réverbères le pont est très éclairé, c’est dangereux ? ?
– Bon, ça fait quelques jours qu’on ne les voit plus…, les snipers.
– Ok, je peux y aller ?
– Vas-y. Afaïtoito. Nana (bonne chance, au revoir). .
– Nana, Hiro. »
J’ai un petit temps d’arrêt ; et j’avance seul au milieu du pont, face à ce putain d’immeuble à environ 200 m de là ! Que j’ai visité la semaine dernière ; il y avait alors au moins un sniper !
« But I Can, Yes I Can! »
J’ai à peine fait une vingtaine de mètres, lorsqu’il me rappelle:
– Xavier revient, vient, revient! .
Je retourne sur mes pas, plutôt inquiet : :
– Qu’est-ce qu’il y a, Hiro, un problème ?“
– Écoute moi bien : si tu te fais tirer dessus, c’est que t’as vraiment pas de chance.
– Ah ça, oui, tu peux le dire ! Bon…j’y vais quand même. Allez, salut, merci du conseil. Ciao Hiro.
– Ciao Xavier. Toi, au moins t’as pas la trouille. Et il ajoute respectueusement: T’as vraiment une sacrée paire de couilles ! ».
Instinctivement je rentre ma tête dans les épaules, je raidis ma nuque et j’avance en pleine lumière des belvédères, les yeux fixés sur l’immeuble des snipers. J’avance mais…mais malgré ma bonne paire de couilles, j’ai une sacrée trouille, tout le long de la traversée du pont. Et puis rien ne se passe…Encore 100 m, puis plus que 50 et ouf, ça y est, enfin, je suis au pied de l’immeuble ! » Hors de portée de tirs.
Il y a même des serbes qui viennent vers moi, pour me serrer
la main : “Mais vous êtes fou , ou quoi?“!
“Vous avez traversé à pied, on vous a observé du début à la fin, c’est très risqué“ “Ici, personne ne fait ça, surtout pas la nuit. Vous êtes vraiment courageux.“ .
« Mais non, c’est pas du courage. Juste une grosse paire de C… ! ».
Avec le recul, je pense que les snipers connaissaient notre ONG, et qu’ils n’avaient aucune raison de me tirer dessus ; à condition toutefois qu’ils puissent m’identifier ! En effet ACTED réalisait chaque matin, dans les villages serbes une distribution des pains d’un kilo aux populations ! Ou bien peut-être était-ce leur jour de repos…En tous cas, j’ai eu du bol ! La Baraka.
Finalement je retrouve mes copains en train de picoler, dans la villa louée par ACTED côté serbe et je leur raconte ma vie, pourquoi je suis venu au Kosovo, etc… et tout de suite, la traversée de la rivière Ibar par le pont des snipers. Ils sont étonnés et ont du mal à me croire.
Puis c’est au tour du Colonel de raconter sa vie, après sa démobilisation : il aime faire de l’humanitaire, et il le fait bénévolement. Avant le Kosovo, il était en Afghanistan et il montait sur la terrasse pendant les bombardements pour regarder le feu d’artifice. Très beau spectacle ! Puis il nous explique son rôle chez ACTED : il a réussi à mobiliser les boulangers (tous turcs) de Mitrovica, pour qu’ils remettent leurs fours en marche ; ils produisent un pain unique » le kilo » et tous les matins ACTED en assure la distribution dans les villages serbes et albanais. Et aussi dans les camps de réfugiés.
Arrivé en fin de mission, il décide de quitter Mitrovica, le lendemain, mais discrètement sans dire au revoir au syndicat des boulangers turcs…!?
Là-dessus, le logisticien nous explique un peu son boulot, puis prend congé car il est fatigué. Il habite dans le quartier, et rentre à pied malgré l’heure tardive. Mais le voilà qui revient un quart d’heure après. Il est blême et il tremble. Il se sert une bonne dose de whisky, qu’il avale d’un coup ! Que lui est-il arrivé ? Il nous explique que marchant dans la rue, il a entendu, tout près de lui le tir d’une rafale de mitraillette, quasiment à bout portant. Du coup il a fait demi-tour et est revenu rapidement à notre villa ! Bon, inutile de s’inquiéter pour autant, j’offre une tournée dans un petit bar serbe sur la grande avenue qui mène au pont.
Les serbes du Kosovo vivent maintenant, à leur tour, une période difficile, depuis le départ de leur armée nationale, il y a un mois environ. Ils sont coincés au Kosovo, cantonnés au Nord de l’Ibar, et ceux qui veulent rentrer en Serbie, sont refoulés à la frontière. D’autre part ils subissent des attaques, des attentats incessants de la part de l’UCK, l’Armée de Libération de l’Albanie qui prend sa revanche. Et ceci malgré la présence de la Kfor. Alors pour oublier , ne serait-ce qu’un instant, leur situation intenable, ils se retrouvent dans les nombreux petits bars de Mitrovica. Hommes et femmes. Éméchés ils sont dans l’ensemble plutôt sympas avec nous, mais ce qu’ils craignent ce sont aussi les milices serbes (serbes comme eux !) qui font parfois irruption dans les lieux publics. Ils nous disent d’essayer de les éviter car ils détestent les français et la Kfor, qu’ils accusent d’avoir bombardé les forces serbes et provoqué leur défaite, d’où leur retrait du Kosovo. Nous avons une fois rencontré la plus connue de ces milices, celle d' »Arkan », un groupe d’une dizaine de soldats, muni d’un étendard aux couleurs de la Serbie, tous malabars grands et musclés, leur taille avoisinant les deux mètres. Ce groupe fait irruption dans un night-club où nous étions venus boire quelques verres et essayer de nouer des contacts avec de jeunes et charmantes serpettes.Cependant ce soir-là, en présence de cette milice nous décidons un repli stratégique vers notre 4×4, mais sur le parking nous sommes interpellés par l’un des miliciens, bien aviné, qui a surpris à l’intérieur, mon collègue en discussion avec une jolie petite serpette. En fait, il cherche la bagarre. Et s’en prend à mon pote. Je rentre dans la discussion en anglais, et après un bon moment – peut être l’avais-je convaincu ? – il dégage sans même dire au-revoir et rentre à l’intérieur de la boîte. Il est 01 h, on décide de rentrer. .
Peu après nous apprendrons que Arkan a été descendu par un sniper albanais, ou français ? ou serbe ? ou américain ? on ne sait pas… Sa milice ne lui a pas survécu ! Bon débarras.