Le barrage de Koudiat Acerdoune est un barrage de type poids, sur l’ oued Isser au niveau de la commune de Maala, dans la wilaya de Bouira en Algérie. Il est construit entre 2002 et 2008, d’une hauteur de 121 m, il est le deuxième plus grand barrage en Algérie, après celui de Beni Haroun, avec une capacité de 640 millions m3.
2007 63 ans
Lorsque, venant du Tchad, mon avion se pose vers 8h du matin à Hyères, l’aéroport de Toulon, et aussi la ville où habite mon frère Olivier, je suis épuisé par le paludisme attrapé à Ndjamena, et par le voyage nocturne, classe X, dans une cabine bondée de monde. Mes proches voisins voyant mon état fiévreux sont inquiets pour moi et pour leur santé, redoutant une éventuelle contagion. Je leur explique que je suis en Evasan, après que l’on m’ait diagnostiqué, dans une clinique de N’Djamena un paludisme à plasmodium falsiparum, le plus dangereux de tous. Ca n’est pas fait pour les rassurer, et l’un d’eux m’explique que les malades en Evasan ont droit à la première classe. Bon, il me semble bien effectivement qu’on m’avait réservé une première et qu’il y a eu un mic-mac à l’embarquement, mais étant dans les vaps j’ai laissé filé. J’ai donc fait un voyage pénible et incommodant pour mes voisins en seconde classe alors que j’avais droit à la première, avec moins de promiscuité.
J’attends Olivier, mon frère. Le voilà qui arrive: « Salut Mémiche (un surnom entre les trois frangins Olivier, Pascal et moi), comment va? » . « Ca va, je t’ai réservé une chambre dans une clinique spécialisée dans les maladies tropicales, à Toulon ».
En cours de route on s’arrête pour un p’tit déj, ça fait longtemps qu’on s’est pas vu, alors les bla bla bla vont bon train. Et c’est vraiment très agréable d’échanger des nouvelles.
Maintenant me voilà à la clinique, dans un lit roulant du service spécialisé. Rapidement pris en charge, vu mon état comateux, je suis bourré de Doliprane pour faire tomber la fièvre, et de Nivaquine pour niquer le plasmodium. Ou d’un médoc plus récent, je ne me souviens plus.
J’ai entendu le médecin qui vient de m’examiner, dire à une infirmière: « normalement on ne devrait pas soigner un gars comme ça ». Etonnant et pas très amical? Et pourquoi dit-il cela? Serais-je escorté par quelqu’un de l’Organisation qui m’aurait savonné la planche à la clinique? Ce ne serait pas première fois. Par exemple chaque fois que je prends l’avion, on me fait changer de siège pour me mettre à coté d’une personne qui n’aura de cesse d’essayer de me tirer les vers du nez….
La nuit arrive, et un infirmier sympa m’installe dans un box, et discute un peu avec moi…Je m’endors, suis réveillé au milieu de la nuit pour les médocs et puis…le jour se lève, avec le petit déjeuner.
On me remets dans le couloir, et moins fiévreux je commence à faire le point. La situation n’est pas brillante: malgré mon engagement intensif ayant permis le démarrage du projet au Tchad, on s’était carrément fait virer.
Et maintenant je n’ai rien devant moi. Que vais-je devenir? D’habitude voyant venir la fin d’un projet, je m’occupe six mois avant, d’en chercher un autre. Mais là tout a été si soudain. Que faire? Le pallu ajoute à ma dépression. Découragé, j’ai les larmes au yeux lorsqu’une jeune femme, assistante sociale très aimable, voir même compassionnelle se présente. Je lui raconte le Tchad..etc, et j’ajoute que je ne sais comment régler mon séjour à la clinique, car étant toujours à l’étranger, je n’émarge plus à la Sécurité Sociale depuis longtemps. La carte vitale n’est plus pour moi qu’un lointain souvenir… Compatissante, elle passe un long coup de fil et réussit à ma faire réinscrire. Youppi!
Ma santé s’améliore et après le repas de midi je dois, et je peux, quitter la clinique.
Me voilà, avec ma valise en carton, de chez Vuitton, en bas sur le trottoir en train d’attendre vainement un taxi. Rien ne vient si ce n’est une infirmière « Ben alors Xavier, qu’est ce que tu fais là, tout seul avec ta grosse valise? » « J’attend un tax ».
« T’es pas prêt d’en trouver, il n’en passe pas dans notre petite rue; attends je vais t’en chercher un sur l’avenue.Tu sais où tu vas? » » non, pas vraiment, » et puis …. »oui, sans doute vers Hyères ». Elle: « OK, j’y vais. »
et moi: « Oui, merci. T’es vraiment sympa ».
Finalement je me fais déposer au port du Niel, à Giens. C’est la fin de saison, tous les établissement sont fermés, sauf un petit hôtel, « L’eau salée », que je connais un peu. Il peuvent m’héberger une semaine et après c’est la fermeture. Je suis le seul client et je passe une semaine dans un calme total. Les repas sont excellents, axés sur les produits de la mer. Dans la journée, j’essaye vaguement de chercher un job sur le net, mais rien ne vient. Je me balade sur les sentiers douaniers en bord de mer, en haut des petites falaises, ou en bas sur les plages…Bref une vie de retraité solitaire.
Mais, bon sang, je veux retrouver un job, si possible en Afrique! Au bout de quelques jours de recherches infructueuses sur le net, je suis découragé, je ne sais plus que faire.
Alors survint « La Baraka ».
J’ai l’idée d’appeler Sabri, du bureau d’études STOKEAU, mon ancien employeur pour l’Algérie. Il m’avait envoyé à Tiaret pour la construction d’une STEP. Mission dont j’avais démissionné, il y a six mois déjà, pour aller travailler au Tchad.
J’ai conservé son numéro, et je l’appelle. On verra bien s’il est rancunier. Ou pas?
Surprise agréable, il est ravi de mon appel, et me demande comment ça se passe pour moi, au Tchad?
Je lui dit tout, et lui précise que je reviens tout juste du Tchad, que je suis en Francet que je suis précisément à la recherche d’un autre job.
Eh bien, me dit-il tu tombes à pic. Et tout de go:
« Je te propos le poste de chef de mission de suivi et de contrôle des travaux de transfert d’eau potable, à partir du barrage de Koudiat Acerdoune, à coté de Bouira, en Kabylie, à une heure seulement de voiture d’Alger. »
« Ca commence tout de suite, et justement j’étais en train de partir pour Alger, pour présenter le CV d’un jeune ingénieur. Mais maintenant que tu est disponible, je pense que, avec ton expérience, le tien est plus approprié, et si tu es d’accord, je vais le présenter à l’Agence Nationale des Barrages et Transfert, demain matin. Ici, à Lausanne nous avons conservé ton dossier, et ton CV, complets.
« Qu’en penses tu, Xavier? »
« J’ajoute que tes honoraires, pour cette mission, si tu l’accepte, seraient de 10.000 euros/mois. Tout frais pris en charge par STOCKEAU, car tu seras logé sur le chantier ».
Ce que j’en pense? Génial! et malgré sa barbichette je l’aurai embrassé, Nourredine. Il présente donc mon dossier demain et me rappelle.
Je reste à l’écoute le lendemain toute la journée, et miracle, à 18 h le téléphone sonne. « C’est d’accord, rejoins moi à Lausane, on signe le contrat et, le temps de t’obtenir un visa, tu vas te présenter à l’ANBT à Alger la semaine prochaine » .
« Ils t’attendent là bas, et le chantier devrait bientôt démarrer. »
Je suis tellement content que je me passe des airs de musique algérienne toute la soirée,…en esquissant une danse du ventre toutes les cinq minutes! Walaye.
Puis le lendemain je quitte l’hôtel et me rends à Hyères pour annoncer la bonne nouvelle à Olivier. Je m’achète un costard noir, impeccablement coupé, une jolie paire de chaussure..etc. Cette fois-ci je ne vais pas bronzer sur une dune de sable: j’ai rendez vous à l’hôtel 5* El Djazaïr, anciennement le Saint Georges, construit par Le Corbusier, aujourd’hui restauré et haut lieux de l’élégance algérienne.
Et le surlendemain, Olivier me dépose à l’aéroport de Marseille, direction l’Afrique. « Africa, me revoilà ».
Le barrage de Koudiet Acerdoun est situé sur l’Oued Isser à une douzaine de km au sud de Lakhdaria, Wilaya de Bouira, à peu près à 60 km à l’Est d’Alger à vol d’oiseau.
Le bassin versant amont s’étendant sur 2790 km² est suffisant pour alimenter un réservoir de large capacité, de plus 400 millions de mètres cubes. Ce volume peut être transféré gravitairement vers Lakhdaria et la retenue de Keddara pour l’irrigation de la plaine de la Mitidja et des périmètres agricoles du bas Isser, mais aussi pour approvisionner en eau potable les populations de l’Algérois. Le barrage de Koudiat Acerdoun améliorera la couverture des besoins en eau potable des populations de Bouira, Tizi-Ouzou, Msila et Médéa ainsi que l’irrigation de 19 000 ha des Issers et de la Mitidja.
Ci-dessus la video de l’entrepris Razel qui a construit le barrage.
Le lot n°1 koudiet acerdoune a été mis en service au mois de juillet 2010, il alimente actuellement 05 centres urbains et 08 communes situées dans les wilayas de bouira et tizi ouazou pour satisfaire les besoins en eau potable pour quatre cent mille habitants.
Les lots n°2 et n°3 ont été mis en service en 2013 pour alimenter en eau potable les wilayas de smilla et Mendès.
Le méga système de koudiet acerdoune comprend le barrage de koudiet acerdoune d’une capacité de 640000000m3 (six cent quarante millions de m3 d’eau), une station de traitement d’une capacité de trois cent quarante six mille m3 d’eau traitée/ jour, 10 stations de pompage, 07 réservoirs d’une capacité totale de 80000 m3 et 450 km de conduite.
Ce méga projet alimente actuellement en eau potable 02 millions d’habitants répartis dans les wilayas de Bouira, Medea, Smilla et Tizi ouazou.
La conduite et les installations de transfert dont je vais contrôler avec mon équipe la construction, commence par une prise d’eau dans le lac juste derrière le barrage. Il s’agit d’abord d’une canalisation de deux mètres de diamètre, sur 18 km de longueur, en fonte fabriquée en France par la Sté Pont à Mousson, qui se poursuit par des tronçons de diamètres compris entre 1 et 2 mètres de diamètres pour rejoindre les villes citées ci-dessus. En outre une station de traitement sera construite au sortir de la vallée de l’oued Isser pour 5000 litres par seconde, avec station de refoulement, vers des réservoirs de stockage situés sur les plateaux dominant la vallée en rive droite.
C’est l’entreprise canadienne Lavalin, qui a été sélectionnée pour réaliser les travaux du transfert.
« Africa me revoilà ».
Arrivé à Alger vers 15h je prend un taxi à l’aéroport, et en cours de route je demande plutôt au chauffeur de me faire visiter un peu Alger que je ne connais pas bien car au cours de mon séjour à Tiaret, je n’y ai fait que de brèves incursions. Il m’emmène d’abord au Mémorial des Martyrs qui domine la ville, en souvenir des algériens qui ont trouvé la mort lors de leur lutte pour l’indépendance. J’apprendrai plus tard que ce monument a été construit précisément par l’entreprise Lavalin. Et un canadien, lors de notre petit déjeuner habituel, que nous prenions au chantier vers 4h30, me dira combien en visitant le musée situé en sous sol , sous le monument, il avait été choqué, de tout le mal que la France avait fait aux algériens. Que lui répondre, sinon parler aussi des bienfaits de la colonisation (?)….Tout ça est un peu ambigu, comme la video ci-dessous ambiguë elle aussi, mais qui a le mérite (à mes yeux ) d’être dépassionnée.
Maintenant je dis au taximan qu’il me faut acheter un rasoir et une mousse, car j’ai oublié d’en emmener. C’est important parce qu’avec les rendez-vous de demain , il faut mieux que je sois impeccable. Il n’y en a pas beaucoup des boutiques qui vendent ça, mais il en connait une. Impeccable, j’ai ce que je voulais.
Après je lui demande un tour à Bab El Oued, puis nous passons par la place de la grande poste, et nous atteignons l’ avenue Didouche Morad, nous passons dans le tunnel et enfin arrivons à la faculté. On s’arrête pour boire un verre ensemble au restaurant d’en face, et mater les jolies étudiantes en djellabia, voilées ou carrément en bluejean.
Nous remontons l’avenue et à ma demande il me conduit maintenant au Saint Georges. Mais plutôt que de diner à l’hôtel, je descend à pied jusqu’au restaurant « Le Carthage », où entre la poire et le fromage, je me souviens (il y a deux ans) de Khadijah et Salima, mais aussi de mon pote Jacques le fou, hélas, disparu depuis prématurément.
Le lendemain je me pointe avec le même taxi, dans le quartier de Kouba, à l’ANBT où Sabri m’avait ménagé des rendez vous. Je me présente à une petite réunion et je fais connaissance avec Mustapha R. Directeur National (D.N.), Maître d’Ouvrage, du projet Koudiat Acerdoun, barrage et transfert. Est également présent un compatriote, Barbion, mis à disposition de l’ANBT comme assistant technique du directeur national.
Le D.N. après nous avoir écouté attentivement, nous invite à rejoindre sans tarder son équipe qui est basée à Bouira, au rez de chaussée d’ un immeuble. Nous y trouvons son bureau et celui d’à coté est pour nous deux, Barbion et moi.
Et nous nous mettons au travail, en étudiant les documents de projet de manière à nous faire une première idée de l’ensemble. Ces journées d’études se passent sans que nous ne soyons autorisés à mettre le nez dehors. A cause du terrorisme. Bouira est en effet une ville connue pour leur présence, de même que toute la région, et spécifiquement la petite ville de Djebahia, située à 18 km de Bouira, où Lavalin est en train d’établir son camp : un terrain plat de 8 hectares, surface minimale pour entreposer les 18 km de canalisations de 2 m. de diamètre, les autres, les installations de potabilisation de l’eau, les bureaux et le village d’ingénieurs.
Les surfaces réservées aux installations industrielles – station de traitement, réservoirs d’eau, station de pompage, ont été implantées par les topographes; elles sont situées en escalier, sur la pente. et aussi en partie en bas sur le plat, avec les bureaux et les ateliers de l’entreprise et aussi la centrale à béton. Quant aux bureaux de l’Administration ils seront au-dessus, à distance de ceux de Lavalin. Chacun son coin et les vaches, ou les moutons… et les documents seront bien gardés.
Cette surface est dominée par une pente avec des terrassements en cours pour y établir ce que l’on appelle le « village d’ ingénieurs ». Les unités d’habitations et les bureaux prévus seront des containers aménagés par les canadiens, avec tout le confort moderne. Il est même prévu deux piscines – nationaux et étrangers – et deux salles de sport, ainsi qu’un restaurant avec sa cuisine, un bar et une lingerie.
Tout le terrain est entouré d’une barrière de protection en parpaings, d’une bande de sécurité d’une dizaine de mètres de largeur, avec de plus à l’intérieur un grillage métallique de 3 mètres de hauteur. Dix sept guérites de surveillance, qui seront gardées nuit et jour par des hommes en arme, permettront d’assurer en cas d’attaques terroristes la sécurité et de défendre les installations et les hommes (il n’y aura pas de femmes habitant au chantier, exceptée la mienne sur autorisation spéciale du D.N.).
Mais revenons à Bouira. Barbion et moi nous sentons bien isolés car de fait toute l’équipe de l’ANBT est déjà au travail sur le site à Djebahia sous la direction du D.N.
Ils sont tous concentrés, depuis 4 ans, sur le chantier du barrage.
Lorsqu’il vient nous voir , quelques jours plus tard à Bouira, je lui demande s’il serait possible de nous loger au chantier du barrage, lequel 4 ans après le démarrage des travaux est déjà très avancé. Dans le village d’ingénieurs de Razel. C’est tout à fait possible, et avec l’accord du Directeur de Razel, nous nous installons dans une villa au pied du barrage, à coté de l’aire d’atterrissage de l’hélicoptère.
Une chambre chacun (Barbion a la gentillesse de me laisser la plus grande), un salon avec télé, un WC à la turque, une cuisine.
Mais nous mangerons au restaurant de l’entreprise Razel, sur autorisation du Directeur, qui nous fait indiquer toutefois qu’il faut être très attentif à ne pas déstabiliser par une tenue ou des propos inappropriés, le fragile équilibre psychologique des ingénieurs et cadres expatriés qui travaillent par quarts, de jour et de nuit et vivent ici dans un site isolé en fond de la vallée, reconnu comme une zone fréquentée par des terroristes!
Nous sommes aussi invités à manger, à notre guise, au restaurant de l’ANBT, situé en contrebas du village Razel. Ainsi le plus souvent à midi nous mangeons avec le D.N. et ses collaborateurs et c’est pour nous une bonne opportunité de faire connaissance avant que ne débute officiellement notre programme de transfert d’eau à partir du barrage.
Et le soir, nous dînons au restaurant de Razel qui est situé à 50 m de notre maison. Le vin est autorisé, mais en quantité limitée. Parfois, au cours d’un de ses dîners, trop arrosé, Barbion se laisse emporter par l’habitude des français résidents depuis longtemps en Algérie, c’est à dire: critiquer, avec des relents de racisme, le travail des algériens. Comme Proust à Tiaret.
Du coup, Barbion n’est plus autorisé à manger au restaurant et doit attendre une escorte sans pouvoir manger pendant trois jours, avant de pouvoir redescendre sur Alger. Rassasié chez lui, mais vexé, il démissionnera peut après.
J’attaque donc tout seul, mais proche de l’ ANBT, la première partie de notre mission: l’examen de quelques plans de localisation des installations industrielles et des notes de calculs. Le temps passe et je vais discuter et déjeuner assez souvent avec le D.N. (Mustapha), qui me reçoit toujours avec amabilité. Nous avons même la visite, un jour, du nouveau Directeur de l’ANBT, et de quelques collaborateurs, pour lesquel j’avais préparé une présentation sur Google Earth du projet avec des vues aériennes depuis le barrage de Koudiat, jusqu’à la STEP (station de traitement d’eau potable) à Djebahia, et du parcours des canalisations, en passant par les stations de pompage et les réservoirs jusqu’aux extrémités des conduites, délivrant l’eau dans les villes et les villages de Kabilie.. Et pendant le repas j’avais mis un point d’honneur à soutenir la conversation avec le nouveau Directeur de l’ANBT.
Peu à peu notre équipe commence à s’étoffer avec:
- un ingénieur hydraulicien, c’est moi.
-un ingénieur en construction
-un géologue
-un ingénieur de laboratoire spécialiste fondations, et bétons.
-un informaticien
-un topographe
-une secrétaire
Maintenant que ses chefs de chantier arrivent du Canada, Lavalin loue un immeuble de 3 étages à Bouira, appelé Villa Touati, où nous sommes invités à nous installer dès à présent..en attendant les logements au chantier, en cours de construction.
Un vaste bureau au rez de chaussée est alloué à notre mission de contrôle et on me demande de choisir un petit appartement à l’étage. Très aimablement le chef d’entreprise me propose, au quatrième le plus bel appartement de l’immeuble qui lui est normalement dévolu. (j’ai eu plusieurs fois l’occasion d’expliquer combien les chef d’entreprises sont aimables avec les chefs de mission de contrôle des travaux). Je le remercie mais je décline. Je me contenterai d’un petit deux pièces avec toilette et salle de bain sur le palier. En fait j’ai repéré que la pièce du fond, était bien en recul de la façade, position qui en cas d’attentat à l’explosif nous assurerait une protection.
Notre mission de contrôle s’installe donc au rez de chaussée.
En ouvrant mon ordinateur, je capte un réseau wifi, et bien sûr cela excite ma curiosité. Je fais le tour de l’immeuble (mais attention! par sécurité les étrangers ne sont pas autorisés à sortir de l’immeuble) et constate que mon bureau est adossé à un bâtiment voisin. Avec un cybercafé tout proche de l’autre coté du mur pignon de mon bureau. Je rentre dans le cybercaf. dont le patron vient vers moi. Je lui explique notre installation, à proximité et lui demande s’il peut nous connecter à l’internet à travers son wifi. Pas de problème, me répond Amirouche, mais j’appelle mon grand frère qui gère le cyber. Ils acceptent tous les deux avec joie et configurent mon ordi à leur wifi.
Ca y est, 5 mn après notre arrivée, je suis déjà en liaison internet avec notre siège en Suisse. Et nous allons rester plusieurs semaines les seuls connectés du programme. De mon coté, comme je suis venu avec mon MacBook Pro et quatre petites bornes WIFI à brancher sur le secteur, je peux connecter les ordi de mes collaborateurs et le mien. Pas mal, pour un début, non?
Une question délicate, lors de la première phase d’examen des plans de l’entreprise est la procédure d’approbation des plans, qui mobilise les experts de notre mission, mais aussi d’autres experts, plus pointus qui vont intervenir à partir de notre siège de Lausanne.
Le process est simple: les plans sont élaborés au Canada et transmis par internet « share point » avec une lettre d’accompagnement, à la fois à l’ANBT à Alger et au chantier, à STOKEAU Lausanne, et à mon bureau. Chacun des experts de notre mission, ou du siège (back office) examine ses plans et me remets à la main ou par internet une note d’évaluation des plans avec la mention « accepté », ou « accepté avec réserve », ou « refusé ». J’utilise tout simplement un tableau Excel pour l’enregistrement des plans. Mais plus les jours passent plus les plans nous parviennent en grand nombre. Parfois jusqu’à 25 par jours. Mon mode de gestion par Excel devient rapidement insuffisant et inopérant..
Et c’est alors qu’à la suite d’un gros différent entre l’ANBT et Lavalin, le chantier est arrêté le temps que l’on trouve une proposition qui mène à un accord. Pour bien marquer son point de vue l’ANBT renvoie à la maison tous nos ingénieurs, à commencer par moi-même: « Partez un mois en vacance, et on prendra une décision au bout de ce délai, qui pourrait être tout simplement l’annulation du contrat et l’arrêt définitif l’opération. » Mais bien sûr, nous souhaitons, la reprise du travail, le plus tôt possible….on vous téléphonera ».
Très bien, alors et moi, où vais-je passer mes vacances?
Eh bien, au Sénégal, pays où mon fils est installé avec sa petite famille. Je prends donc l’avion à l’aéroport Ouari Boumedienne, direction Dakar, où accueilli par Moana, je me rends ensuite dans un hôtel sympa, dont j’occupe une sorte de suite, bien climatisée au dernier étage.
Me rendant le soir au bar restaurant le Viking, sur l’avenue Pompidou, j’y retrouve mon viel ami Bob, politicien et philosophe aguerri et grand amateur de jolies gazelles.
Voyant que je suis seul et sans compagne, il en parle à sa préférée, laquelle suggère de me présenter sa jeune cousine. Super! le lendemain soir nous mangeons au Café de Paris tous les quatre. Je suis content de rencontrer « Mama N’deye Koura N’diaye » que j’appellerai plus simplement Baby (Bébé).
Une nouvelle union commence qui aura dans les prochaines années plus d’importance que je ne l’imaginait alors.
Je propose à Bébé que l’on aille s’installer dans un hôtel au bord de l’océan, et que l’on profite de la vie, pendant un mois. Au programme les fameux 3B. Ce que nous faisons plusieurs fois dans la nuit. Fatigué mais heureux de nous être trouvés, nous partons le lendemain vers « la Somone », centre touristique de première importance sur la petite côte, pas très loin de Dakar.
Des bougainvillées de toutes les couleurs à profusion, de belles plages de sable blanc, c’est un paradis pour les vacanciers que nous sommes pendant la belle saison, la pleine saison. A midi, déambulant sur la plage, nous nous arrêtons dans un bar restaurant, les pieds dans l’eau, le « Habana Bar ». Fréquenté par des français de Dakar, passionnés de rugby. Or, nous sommes en phase finale de Coupe du Monde. Y a donc de l’ambiance et les verres se lèvent autour du comptoir pour encourager la France, avec des chansons de rugbymen bien connues qui raisonnent encore dans mes oreilles. Chansons à boire du Sud Ouest de la France.
« Ah Léo, Léo, Léo, roi de Bayonne, roi de Bayonne, »
« Ah Léo, Léo, Léo, roi de Bayonne et des couillons. »
https://www.youtube.com/watch?v=owqeqLSEVFk
Comme je chante avec eux, le patron m’offre un pastis et engage la conversation. Je profite de l’occasion pour lui dire que je compte passer un mois de vacance avec Bébé, ici à la Somone. Et je lui demande conseil pour un hôtel?
Il adore cette question, car précisément au dessus du bar restaurant, il y a un appartement libre, qu’il serait heureux de nous louer. OK? allons voir ça. C’est tout simplement beaucoup mieux qu’à l’hôtel, ça correspond à une suite avec vue immédiate sur mer. Très propre, bien équipé, avec le wifi et la télé. Deux chambre, un salon avec bar, une baie vitrée. On se met d’accord sur un prix, bien inférieur à celui d’une simple chambre d’hôtel, et hop j’emménage avec Bébé pour un mois. Pendant la sieste nous essayons le sommier, et redescendons pour le café. Puis nous remontons pour le pousse café…et ainsi de suite.
Aucun soucis pour les repas tous servis, en bas au rez de chaussée, le petit déjeuner sur la terrasse les pieds dans l’eau. Et nous sommes sur la plage, mais a deux pas des hôtels si nous voulons profiter des distractions au programme: voile sur la mer et/ou motos à l’intérieur des terres. Tout va bien, le bateau coule!
Elaboration d’un Système de Gestion par Bases de Données.
Mais dans ma petite tête, si je suis convaincu que les travaux en Algérie vont reprendre dans un mois, je n’oublie pas que je n’ai pas de système de gestion performant ou simplement satisfaisant pour l’examen des plans que Lavalin va nous soumettre en masse. Environ 1500 plans qui s’ils sont refusés peuvent repasser plusieurs fois dans le circuit d’approbation. Ce qui pourrait faire jusqu’à 5000 plans à examiner. Le tableur Excel (ou moi!) ayant montré son insuffisance pour le gestion d’une telle tâche, je devais absolument trouver un autre moyen, sinon je risquais tout simplement de faillir à notre mission. Comment faire?
Cependant, à l’époque on entendait parler depuis quelques années de bases de données, permettant de gérer des documents par milliers voire par millions: Dbase 1, puis Dbase2, puis Dbase3, c’était une affaire d’ingénieurs informaticiens. L’épaisseur des manuels de mode d’emploi m’avait toujours découragé, de m’investir dans ce domaine. Mais maintenant c’était le bien le moment de s’y intéresser. Je cherchais donc le meilleur produit, ou du moins le plus simple parmi les progiciels de bases de données. Et je tombais, sur FileMaker qui permettait de configurer soit même une SGBD, système de gestion par base de données, répondant exactement et sur mesure au besoin de l’utilisateur. Pour moi, il s’agissait de dérouler un circuit d’approbation de plans. J’avais bien intégré ce circuit et ses intervenants lors du mois que je venais de passer à Koudiat, et il me fallait maintenant le formaliser numériquement sous environnement FileMaker. Je n’étais vraiment pas sûr d’y parvenir car jusqu’alors, je n’avais jamais mis les doigts dans une base de données. Alors que faire?
Eh bien se mettre au travail, lire et appliquer les explications disponibles sur le net, pour parvenir à bâtir cette base de données sur mesure pour les besoins de notre mission. Ce que j’ai réussi à faire au prix d’un effort surhumain, un travail qui a rempli une partie de mes vacances, souvent à partir de 4 heures du matin et s’est poursuivi encore à mon retour à Bouira. A tel point que les employés de Lavalin logeant dans la villa Tuati étaient stupéfaits de me voir travailler dur toute la journée, et le soir jusqu’à minuit.
Ainsi lorsque je reçois à la plage, un coup de fil de Sabri, m’invitant à retourner en Algérie, ma base de données que je baptisais « SCOOP » était déjà bien élaborée.
A mon retour au chantier, je convoquais donc mes ingénieurs pour un exposé sur SCOOP et je leur demande ce qu’il en pense. C’est Djelloul qui répond et qui dit que cela ne sert à rien parce que, eux ont déjà leur système de gestion: quand un plan est examiné, il le range dans une armoire avec un élastique autour qui retient une étiquette avec le nom du plan marqué au stylo bille dessus.
Bon, je le félicite et je leur propose un truc:
Ils sont 7 ingénieurs, et moi je suis seul. Mais faisons un concours: choisissez le nom d’un plan, et partez à sa recherche, retrouvez le, et retrouvez les courriers qui le concernent, puis ramenez moi tout ça ici. Et de mon coté je ferrai de même avec SCOOP.
OK? Ils sont sûr d’eux : « OK ».
Quel plan? Ils se concertent: « réservoir de Kadiria, plans de ferraillage des fondations – révision 2 – »
Attention, je donne le départ. Are you ready? GO!
Pendant qu’ils se précipitent vers l’armoire, dans le bureau de Djelloul…
j’ouvre calmement ma base de données SCOOP, formule ma requête et appui sur le bouton « entrée ».
Le plan recherché apparaît sur l’écran, je l’imprime au format A3, puis apparaissent les différents courriers que j’imprime au format A4. Ca m’a pris deux minutes. Et maintenant j’attends…
Au bout de 20 minutes Djelloul et ses collègues réapparaissent bredouilles, expliquant que les piles de plans se sont écroulées quand ils ont ouverts les portes de l’armoire, et qu’il n’ont pas réussi a retrouver le leur.
A partir de ce jour, la base SCOOP a été utilisée tous les jours jusqu’aux approbations totales des 1500 plans originaux et de leur versions révisées. Soit presse 7521 plans examinés. Et avec SCOOP sur leurs ordinateurs en liaison avec le mien, chacun a pu gérer l’approbation des plans de sa spécialité. A part quelques uns, réfractaires à l’informatique.
Ne pas sous-estimer la charge liée à l’administration des chantiers : Exemple, sur le présent chantier le chef de projet a reçu, en 18 mois, 1712 lettres, signé 1004 réponses, portant principalement approbation de 7521 plans, et notes techniques
Et avec SCOOP j’ai pu gérer non seulement les plans mais aussi l’ensemble des courriers, arrivée et départ, de notre mission. Et même ceux que l’Administration recevait de Lavalin, et envoyait en réponse. Et grâce à une extension que je donnais à SCOOP, et que j’appelais ACTION j’ai pu suivre aussi les visites de chantier des ingénieurs de la mission, et leurs comptes rendus, pendant deux ans.
Et enfin je me suis servi de SCOOP pour d’autres missions ultérieure au Sénégal (lutte contre les inondations) , au Cameroun (restructuration de la Camwater), au Maroc (Ministère de l’ Environnement) et à Zanzibar (AEP de l’île de Pemba) et à Madagascar (expertise d’un projet d’AEP de 50 villages).
Pour revenir à Bébé, après nos vacances studieuses, je l’invitait à venir avec moi en Algérie, pour y poursuivre la vie en couple…, avec moi! On s’installait donc dans le petit appart la villa Touati, et la vie continuait: tous le matins je faisais route vers le chantier où l’on s’installait dans les bureaux de l’ANBT, qui n’étaient pas encore tout à fait finis: pour le chauffage les climatiseurs réversibles manquaient, alors qu’ on était en plein hiver. On allait donc travailler dans la neige comme dans les bureaux en anorak, avec d’épaisses chaussures de chantier. Quant à Bébé elle restait à l’appart où elle s’ennuyait ferme, mais elle pouvait toujours regarder la télévision pour se distraire. Le soir nous allions souvent, bravant toutes les interdictions, manger en ville dans l’unique restaurant ouvert après le coucher du soleil. La rue de la ville étaient déserte et les volets baissés. Mais le restau était sympa, avec un maître d’hôtel très correct, avec qui nous parlions en français de choses et et d’autres. En rentrant, une fois au lit dans la chambre à coucher de notre petit appartement au deuxième étage, nous effectuions nos devoirs conjugaux, l’un vis a vis de l’autre, et ça faisait un peu de bruit, dans l’immeuble qui était comme on dit « un peu sonore ». Personne ne nous faisait de reproche, mais je crois qu’ils étaient impressionnés de voir comment ça marchait bien entre le viel homme et la mère, pardon pas la mère, la fille! Je crois même qu’avant notre arrivée, ils se demandaient si j’arriverai à LE FAIRE avec elle.
Pour revenir au bruit, celui qu’ils entendaient présentement, n’était rien par rapport à ce qu’ils allaient entendre quelques mois plus tard au cours d’une soirée avec Bébé, qui m’avait ouvert de nouveaux horizons. Incroyable. Cependant je raconterai tout ça, ici, le moment venu. En pensant que ça pourrait peut être changer la vie amoureuse de ceux qui me liront, et de leurs femmes…ou leurs copines.
LES ATTENTATS, LA SÉCURITÉ
1er septembre 2007
Un attentat au cours duquel un ingénieur français a trouvé la mort a été commis il y a deux semaines par des terroristes, sur le chantier de chemin de fer de Lakhdaria. C’est le moment de parler officiellement de notre sécurité dans l’immeuble Touati. J’en avise donc Sabri, pour qu’il fasse suivre mes réflexions officiellement à l’ANBT, qui envisage des mesures de sécurité.
Vendredi 21 septembre 2007
Message d’origine—–
De : xavier meyer [mailto:xavier.meyer@mac.com]
Envoyé : vendredi, 21. septembre 2007 13:47
À : Nour ed Dine Sabri; JM Burnier
Objet : attaque mortelle
Bonjour,
Les terroristes ont tués ce matin, sur la petite route qui monte au barrage, vers 7h trois français employés chez Razel qui se dirigeaient vers l’aéroport pour partir chez eux en récupération. il sétaient accompagnés de l’escorte et des chauffeurs algériens habituels. Puisque mon visa se termine le 29 septembre, je vais rentrer enFrance pour le renouvellement.
Et puis on verra…Je pense être à Alger ce soir, hotel El Djazzaïr. Cette attaque fait suite à une video d’Al Caïda, rapportée au JT deTF 1 hier soir, et qui donnait pour instruction de tuer les français(et les espagnol) présents au Magrebh.Merci à Kouchner dont les déclarations récentes et guerrières surl’Iran, paraissent à l’origine de ces évènements.
Xavier Meyer
Le 21-sept.-07 à 20:51, Nour ed Dine Sabri a écrit :
Bonsoir Xavier,
La situation est beaucoup moins grave que ce que nous avons appris ce matin.
Ce n’est pas les français qui sont visés par l’attentat.
Pour ton visa, il est valable 3 mois + 1 mois directement auprès du commissariat de Bouira. Il n’est donc pas nécessaire de rentrer pour cela. Il y a lieu de voir demain avec Rabai si tu dois rester à Bouira en évitant
de te déplacer sur le chantier.A+
Bonjour Nour Ed Dhine,
Sur les escortes voici l’avis général des expats: elles permettent l’identification quasi-évidente de la voiture à attaquer, située au centre du convoi entre les véhicules des forces de l’ordre.
Ce qui s’est passé, hier matin, lors de l’attentat survenu pendant la descente du barrage de Koudiat sur une petite route de montagne en est la tragique démonstration.
Cet attentat été commis sur un minibus de Lavalin, et a touché 3 de ses employés. Pas de mort, mais l’un, italien, est devenu sourd à cause de l’explosion. Une camionnette pleine d’explosifs attendait derrière un virage; elle a évité le véhicule des gendarmes placé en tête de l’escorte et s’est précipité sur le minibus. Son chauffeur souriait quand elle a explosé, blessant le gendarme chef de l’escorte, et les 3 employés de Lavalin. Témoignage que j’ai recueilli du gendarme blessé.
samedi, 22. septembre 2007 08:39
J’ai joint hier au téléphone M. Mustapha, qui m’a informé d’une réunion sur la sécurité à 13 h à Bouira.
Je lui ai expliqué que la sécurité n’était pas assurée convenablement à la Villa Touati (l’immeuble) que nous habitons avec Lavalin et qui nous sert également de bureau:
Avec seulement deux gardes d’une compagnie privée, armés d’un fusil, dont un seul reste éveillé (à moitié) la nuit: le dispositif est dérisoire. On note que l’attentat d’hier à Lakhdaria, a été perpétré malgré un dispositif sécuritaire impressionnant: une garnison militaire (entre 1000 et 2000 soldats) installée sur le site, une brigade de gendarmerie sur le site également: (environ 15 gendarmes et 4véhicules), une protection de la cité par clotûre en dur doublée à l’extérieur d’une clôture en barbelés et concertina (zimmerman).
Rien de tout cela à la villa Touati où il n’y a aucun périmètre de sécurité, aucune clôture, aucun élément armé des forces de l’ordre.
De l’avis des ingénieurs de Lavalin, qui rejoint le mien, quiconque voudrait garer une voiture, chargée d’explosifs, sous nos fenêtres la nuit pourrait y parvenir. Egalement un petit groupe de 2 ou 3 personnes pourrait neutraliser le seul gardien à moitié éveillé, et monter dans les étages…
Je vous demande de téléphoner à M. Mustapha, ce matin, pour examiner cette question avec lui avant sa réunion avec le Wali.
Dimanche 23 septembre 2007
Finalement la réunion a lieu et des mesures de sécurité sont prises: multiplication des gardiens armés, dont deux snippers positionnés en haut sur la terrasse de l’immeuble. Mises en place de blocs de béton, et de chaînes pour délimiter un parking devant l’entrée de l’immeuble. Installation d’éclairages par projecteurs sur le toit.
RETOUR EN FRANCE
Il me faut à présent retourner en France pour faire prolonger mon visa par le Consulat d’Algérie à Nice.
Je dépose Bébé chez une amie algérienne travaillant au Consulat et on me conduit à l’aéroport, direction Nice.
A peine arrivé, je file au consulat d’Algérie ou je suis reçu comme un chien dans un jeu de quille par une employée désagréable au possible, qui me fait revenir trois fois, et finalement c’est la vice Consule, choquée par son attitude, carrément hostile, qui m’octroye la prolongation du visa.Je ne comprend pas son attitude si désagréable. Après tout, je travaille dans son pays pour le bien des populations, sur un don de l’Union Européenne. Quel était son intérêt de se conduire ainsi? Quelqu’un serait-il passé au consulat et l’aurait-il payée pour me créer des ennuis. Mais qui? La maudite Organisation?
Il est clair que où que j’aille ils sont derrière moi.Il me reste à faire quelques emplettes avant de retourner en Algérie. J’ achète deux oreillers de luxe, très agréables pour Bébé et pour moi. Ce sera bien mieux que les coussins de salon, trop dur pour un bon sommeil. Et puis j’achète deux machines à café Nespresso, une pour moi et une pour Mustapha, avec une ribambelle de capsules. Je nous procure à tous les deux une carte de membre du club, ce qui devrait nous permettre d’être reçu gratuitement à l’international par une charmante hôtesse, dans les petits salons des boutiques Nespresso.
Puis alors que je suis en train de prendre un café après un bon repas au restaurant, mon téléphone sonne.HORRIBLE ATTENTAT A BOUIRA.
C’est Amirouche qui m’apprends qu’un attentat visant le minibus qui emmène chaque jour l’équipe de 14 topographes à Djebahia, a eu lieu à 25 mètres de notre immeuble.
« Une camionnette bourrée d’explosifs, conduite par un terroriste kamikaze, attendant que le minibus soit plein, l’a embouti par l’arrière et son conducteur s’est fait exploser, avec une charge de dynamite importante. Le minibus a été soufflé par l’explosion et a pris feu immédiatement. Il n’y a qu’un seul survivant, le chauffeur du minibus, qui a réussi a s’extraire, sévèrement blessé. »
Je suis abasourdi par cette nouvelle catastrophique, et demande à Amirouche des détails. Il m’informe que la pharmacie d’à coté est détruite, et m’envoie une photo de la carcasse du minibus complètement éventré dont il ne subsiste que les armatures noircies par l’incendie.Quelle est la position des autorités de l’ANBT et de Lavalin devant ce drame qui a frappé 14 employés algériens ? Amirouche me demande ce que je compte faire. Normalement je reviens tout de suite pour montrer que nous entendons bien, malgré ce drame, assurer notre mission de contrôle.
Puis j’appelle Sabri à Lausanne; il n’est pas encore au courant et est très abattu par ce tragique évènement. Il me demande ce que je compte faire, il respectera mon choix. J’entend bien retourner à Bouira tout de suite. Puis j’appelle Mustapha et l’avise de mon retour. Il me demande dès mon arrivée à Alger de passer à la Direction de l’ANBT. Donc le lendemain matin je participe à une réunion, où l’on me demande de préciser ce que nous voulons au niveau sécurité.
Mais ce n’est pas si simple que cela, nous sommes en pleine ville avec quoiqu’on fasse un système de protection vulnérable. Une seule solution s’impose, déménager le plus rapidement possible sur le site du chantier. Cette proposition est adoptée, d’autant que le village d’ingénieurs, qui regroupe des conteneurs aménagés est quasiment près. Et au niveau sécurité, une première clôture avec concertina, qui enserre tout le site est réalisée et les tours de guet également. Nous déménageons donc à Djebahia, sauf les employés algériens qui préfèrent habiter en ville, à Bouira.
Lorsque le déménagement est terminé et la sécurité assurée, j’envoie un chauffeur à Alger pour récupérer Bébé. Je suis le seul à bénéficier d’un conteneur double idéalement situé au centre du village, donc entouré par les conteneurs canadiens, qui de fait m’assurent sans doute une certaine protection.
Bébé et moi nous installons donc dans notre conteneur double qui comprends deux chambres, un salon , une cuisine et un WC. Naturellement il s’agit de petites pièces mais quand même c’est assez confortable. Nous avons la clim, chaud ou froid, un poste de télévision dans chaque chambre; comme ça chacun pourra regarder la chaîne du Niger, ou les chaînes européennes et algériennes. J’ai installé un vélo de salon dans le ….salon, et commencé à décorer l’ensemble, notamment avec un serpent lumineux qui se déploie sur la moquette. Le bruit se répand dans le village que le conteneur du contrôleur est une véritable caverne d’Ali Baba.
La vie s’organise dans le village de conteneurs, où cependant la mort va encore frapper tout près de moi.
Le conteneur adjacent aux nôtres, est habité par Gaetan, ingénieur chargé de l’atelier de confection des éléments en béton préfabriqué. Il ne sort de la base que pour prendre l’avion qui l’emmène en vacances au Canada, une fois tous les deux ou trois mois. Comme moi, c’est un lève tôt. Tous les matins nous retrouvons vers 4h30 pour le petit déjeuner durant lequel nous discutons bien évidement du chantier qui progresse. Le soir avec ses compatriote ils se regroupent chez l’un d’eux et ouvrent des canettes de bières, pendant que le cuissot prépare des grillades de gros morceaux de barbaque. Il faut noter que l’ouverture du bar, limité au samedi soir n’a pas duré longtemps, puisque Gaetan précisément qui avait trop bu y a pris à partie Nadine, ingénieur algérienne chez Lavalin de longue date qui a su se hisser à un rang élevé dans la hiérarchie de la boîte.
Et Nadine l’a mal pris et décidé la fermeture du bar, qui ne sera plus utilisé que pour des circonstances exceptionnelles. Et l’alcool est déclaré interdit dans la base-vie sauf le samedi soir. Cette interdiction ne tiendra pas, puisque des berbères de Tizi Ouzzou passent régulièrement pour approvisionner les canadiens (pas tous!) en bières. Et puis chaque fois que l’un d’entre eux part en vacances il revient avec une cantine de victuailles et d’alcool. Et ces gars là, ces hommes de chantier boivent plutôt sec. Un soir c’est Gaetan qui revient de sa Gaspésie natale, où il construit une maison avec l’argent gagné et économisé sur le chantier, et qui boit tant et plus avec ses compatriotes.
Comme on est tout prés d’eux, on les entends faire du bruit dans la nuit. Et dans la nuit on entend Gaetan qui tombe dans l’escalier extérieur qui monte à son conteneur.
Le lendemain matin, je suis en train de prendre ma douche alors que Richard, la patron de Lavalin, m’appelle au téléphone et me demande de descendre au chantier pour une réception de certains travaux à la station de pompage. Pendant que nous examinons la qualité des bétonnage effectués, Richard reçois un coup de fil, puis s’excuse et disparaît. Quant à moi je remonte à mon conteneur pour terminer ma douche.
Je réalise que quelque chose ne va pas chez Gaetan, et j’interroge le docteur du chantier qui est là et m’explique que Gaetan a eu une attaque pendant la nuit, a survécu jusqu’au petit matin, mais a trépassé le temps d’aller chercher des médicaments à l’infirmerie. On vient de poser les scellés sur la porte du conteneur. J’avoue que je suis un peu sonné de cette nouvelle morbide. Mais j’ai un doute; et si on me cachait un attentat? J’obtient l’ouverture des scellés sous le prétexte de revoir une dernière fois mon voisin. Dans son conteneur, Gaetan est allongé le lit déjà saisi par la rigidité de la mort. Je m’approche et soulève le drap au niveau de son cou. Bon, je suis soulagé , pas de traces de couteau sur la gorge. Je reste un petit moment à le contempler en pensant que nous étions finalement assez proches. Il y aura aussi d’aussi encore d’autres morts sur le chantier, l’un dans un accident de voitures sur la route entre Bouira et Djebahia, l’autre tué par son bulldozer qui lui est passé dessus au cours d’une chute dans une pente prononcée. Les grands chantiers sont toujours dangereux. Nous tournons actuellement avec 1500 ouvriers (Lavalin en a fait venir un cinq cent d’Indonésie) et les engins sont très nombreux, surtout pour les terrassements.
De mon coté ça ne vas pas fort, car j’ai reçu la visite d’un policier algérien qui disait vouloir rencontrer le chef de Lavalin, mais finalement reste avec moi pour me cuisiner. D’autre part chaque fois que je descend par l’autoroute sur Alger, je suis suivi par une voiture de police ou de gendarmerie. De plus j’ai passé un accord avec Maître Bouzlouf, ex-avocat du Président de la république pour obtenir des renseignements en provenance du Mali. Y a t il une plainte déposée contre moi dans ce beau pays? Je l’ai rencontré plusieurs fois à son bureau, mais ce n’est pas clair: une étude sans personnel, des pièces sans meubles, une seule table sans document. Tout ça , sent l’arnaque. C’est du moins ce que je pense. Et chaque consultation me coûte un bras. Je paye plusieurs fois en liquidités glissées dans une enveloppe. Bref le contexte me déstabilise psychiquement.
Heureusement quand je travaille, seul, en groupe ou en réunion, je ne pense pas à cela, totalement absorbé par la rédaction de mes rapports et du courrier, par le suivi de mes ingénieurs, par la communication avec Lausanne, et par les contrôles que j’effectue moi même.
Et parfois par la préparation de réunions importantes, pour lesquelles nous nous déplaçons, ingénieurs, informaticien et chauffeur, au siège de l’ANBT afin d’y travailler avec leurs cadres jusqu’à minuit. En vue d’y peaufiner la réunion du lendemain. Certaines réunions sont parfois houleuses, il faut le dire.
Mais le chantier avance, il faut le dire aussi, grâce à la compétence des ingénieurs, des chefs de chantier, des conducteurs d’engins, des manœuvres, ferrailleurs, coffreurs et bétonner. D’ailleurs la station de fabrication de béton tourne à fond, le jour et la nuit. Dans la journée je travaille au bureau, mais me déplace souvent sur requête de l’entreprise pour faire des réceptions techniques sur le terrain. Pendant que mon équipe remplit elle aussi son rôle, aux quatre coins du chantier. Parfois je me lève pour faire un tour vers une heure du matin, puisque tout le monde travaille jour et nuit, il faut bien vérifier. Ma base de données SCOOP permet d’enregistrer tous ces travaux, mes ingénieurs s’y connectent pour y rédiger leurs compte-rendus quotidiens, ce que j’exige fermement. Et les installations sortent peu à peu de terre:
– le mur souterrain de protection contre les glissements de terrain, constitué par des centaines de gros pieux verticaux, profonds et contigus, en amont de toute l’emprise du chantier;
– les terrassements,
– les constructions des floculateurs, des décanteurs, des stations de pompage, et des réservoirs d’eau.
Le chantier tourne à plein, et tous les matins au lever du jour j’en effectue le tour complet, en interpellant en particulier les gardiens dans leur tour de guet pour vérifier qu’ils assurent bien notre protection. Je croise souvent Nadine de Lavalin, qui fait en jocking le même tour mais en sens inverse.
Quant à Bébé, elle s’occupe toute seule de tout ce qui concerne la tenue, l’entretien d’une petite famille (elle et moi). Par exemple elle lave les vêtements dans la lingerie du chantier. Dans notre vie intime, il y a des hauts et des bas comme dans tous les couples, mais aussi des sommets inattendus que je révèlerai avec pudeur (si c’est possible) un peu plus tard.
Et pour décompresser, Bébé et moi, nous allons passer nos week-ends, d’abord à l’hôtel Sheraton d’Alger, puis à Sidi Fredj, où Sabir nous a loué un appartement qui domine le port, ou encore au Sheraton d’Oran, qui vient juste d’ouvrir et fait des prix imbattables.
On considère en effet qu’il est souhaitable qu’on dégage du chantier et du danger latent environnant pendant le week end. Mais qu’on ne s’y trompe pas, ce n’est qu’en quittant l’Algérie que l’on sent notre inquiétude permanente disparaître.
A propos du terrorisme la situation ne s’améliore pas du tout: des attentats sur la route d’Alger, et à Boumerdès. Le même jour, une bombe puissante fait d’énormes dégâts matériels et humains au siège du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés.
Des algériens, des tunisiens, des canadiens, des suisses, des français, des philippins, des chinois…et bien d’autres.
Un bel exemple de la coopération internationale.
L’ union fait la force: OUI, ON L’A FAIT!
Source : moi même Xavier Meyer
Malheureusement, emporté par ma psychose, me sentant poursuivi par l’Organisation, je ne tiens plus et commet l’erreur de ma vie.
Un jour en panique je prends l’avion pour Marseille et arrivé en France, je démissionne par téléphone.