Yasmina Khadra.
Entre la mer et moi il y avait un courant magnétique qui nous raccordait l’un à l’autre afin que je ne perçoive que les vagues en train de moutonner et leur rumeur grandissante.
La plage, la colline, le ciel s’estompaient autour de moi.
Je n’avais d’yeux et d’ouïe que pour la chorégraphie aquatique.
La mer me sidérait avec ces mystères aussi captivants que les mystères de la mort ; je l’aimais parce qu’elle savait taire ses secrets comme le Seigneur. Nul ne connaît son âge ; aucune science ne peut jauger sa force. Immémoriale, sauvage et imprévisible, elle se mesure au temps qui passe tandis qu’elle nous renvoie a notre inconsistance de fantômes précoces en effaçant nos traces sur le sable, nos épaves sur le récif, les sillons de nos vaisseaux, l’horreur de nos naufrages. Il y a deux choses en elle qui évoquent Dieu: la communion et l’omniprésence. Si la terre tremble sous les cataclysmes si les volcans l’éventre et les ouragans la décoiffent, la mer, elle, absorbe ses tempêtes comme on gobe un œuf et, engrossée de nos angoisses, elle continue de veiller sur les horizons en tenant en respect nos rivages, sempiternellement égale à elle même, telle une prophétie qui échappe aussi bien aux exégètes qu’au commun des mortels.
Ce jour là, j’aurais aimé être une goutte d’eau pour me diluer dans le remous d’un ressac, une infinitésimale éclaboussure dans le blanc de l’écume, une microscopique particule d’embrun sur le bec d’une mouette. J’aurais aimé disparaître sur le champ, comme ça, d’un claquement de doigt. Je n’avais pas peur de ne plus voir de coucher de soleil puisque j’en cueillerais par paniers entiers dans les vergers du Seigneur. Je n’avais pas à craindre de peiner les êtres qui m’étaient chers puisqu’ils finiraient tous par me rejoindre dans les prairies éternelles. Quand le moment de vérité arrive, le bien et le mal s’annulent. Ne reste que ce qu’il faudra accomplir les yeux fermés. On ne se pose plus aucune question ; la seule et unique réponse qui s’impose est : « je suis prêt ! »
Charles Baudelaire
Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer.
Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
Tu l’embrasses des yeux et des bras, et ton coeur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.
Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :
Homme, nul n’a sondé le fond de tes abîmes ;
Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !
Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remord,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
Ô lutteurs éternels, ô frères implacables !