J’ai 68 ans.
C’est mon fils qui m’accueille à l’arrivée. Nous nous dirigeons vers sa maison, quartier de la Mission et avons la mauvaise surprise de constater en arrivant, qu’une véritable émeute se déroule sous nos yeux, juste en face.
Une dizaine de personnes dont un policier ont été blessées vendredi 17 février dans des violences qui ont éclaté à Dakar lors de la dispersion de groupes de jeunes opposants qui tentaient de participer à une manifestation interdite contre le président sénégalais Abdoulaye Wade.
Une heure passe et la manifestation se disperse et nous pouvons enfin rentrer chez Moana. Mais ça recommencera quelques semaines plus tard.
Il est environ 10 heures du matin, et je retrouve avec plaisir la famille de mon fils. A cette heure-ci, la chaleur de saison est en train de monter, et on commence doucement à transpirer. Ca va durer comme ça toute la journée et une bonne partie de la nuit. Et nous n’avons que des ventilateurs pour nous rafraîchir; ce n’est pas très efficace!
Dans bien des pays d’Afrique noire , il en est ainsi, surtout évidemment pendant la saison chaude, et bien des gens préfèrent dormir dehors, dans la cour ou dans le jardin ou encore sur la terrasse pour les plus fortunés.
Quant aux autres, ils dorment dans la rue sur des morceaux de carton tous les jours de l’année. Sauf, pendant les violentes pluies tropicales….où ils trouvent des refuges de fortune.
Nous prenons un petit déjeuner, puis je fais le point avec Moana. Je me suis enfui du Maroc, où j’avais décidément trop d’ennemis et j’ai toujours peur d’être suivi partout où je vais. J’espère, qu’ici au Sénégal, en famille, la situation sera plus calme pour moi.
Pour me changer les idées, je vais commencer dès demain matin à démarrer une recherche d’emploi. J’ai mon ordinateur Mac Book Pro 17″, et mon iPhone 5, mais j’aurais besoin d’un bureau pour travailler.
Cool, Moana me propose le bureau de son collègue Julien, qui est parti en vacances en France pour un mois complet!
Un beau bureau avec un fauteuil à roulettes de DG, dans un immeuble neuf, climatisé, abritant une dizaine d’informaticiens: C’est chez AK Project, la société qu’ils ont démarré ensemble il y a une dizaine d’années. Et de plus, pour que je sois indépendant, Moana décide de me prêter sa voiture. Et il me fait visiter sa villa, où une chambre avec un grand lit, m’a été réservée dans sa villa.
Voilà, grâce à l’hospitalité de mon fils, j’ai tout ce qu’il faut pour travailler, et redémarrer une nouvelle fois, une nouvelle vie.
Après le repas de midi, une petite sieste précédée d’une douche froide (enfin un peu tiède), et nous allons faire un tour en ville. Dakar est une capitale que je commence à bien connaitre après trois séjours entre 1986 et 2009.
1986-88 : DG de la Société Nationale de Forage du Sénégal
2003 – 2005 : Chef de mission de suivi et contrôle du projet d’alimentation en eau potable de 11 villes régionales.
2009: ingénieur WatSan (water and sanitation) pour l’assistance aux victimes des inondations à Pikine.
Et maintenant:
2012/ « chomiste » repris de justesse, mais bien décidé à décrocher de nouveaux contrats.
Evidemment je demande à mon fils de m’emmener d’emblée au marché Kermel, haut lieu coloré des fruits et légumes frais à Dakar.
Ça me fait vraiment plaisir de retrouver l’ambiance africaine après une si longue absence.
Et puis juste en face de l’entrée, de l’autre coté du trottoir, le bar/restaurant le Karmel, vide à cette heure matinale qui a bercé ma jeunesse.
Ci-dessus une video tournée en 2016, soit deux années après mon séjour de 2012 à 2014 (séjour objet de cet article) que je regarde en ce moment en 2020 à Tahiti, et donc je tape ce texte avec une joie non dissimulée, car je reconnais sur l’écran, Jean Pierre, le patron, Patrick un ami, et les musicos moustachus et barbus. Et quelques sénégalaises.
Ainsi je me dois de souligner qu’au bar « le Karmel », de 2012 à 2014, je compte de nombreux amis sénégalais, anciens professeurs, fonctionnaires (hauts ou non), anciens ambassadeurs…etc, tous « anciens anciens » étudiants formés en Europe, spécialement dans les Universités, et les Ecoles françaises. Mais aussi plus récemment au Canada, en Russie, en Chine…Et aussi des artistes, des chefs d’entreprises, et des professions libérales. Chrétiens, Musulmans, Animistes…
Souvent des retraités.
Comme on le voit, il y en a pour tous les goûts, et de toutes les couleurs. Mais pourquoi, ce soir au Kermel n’y a t il pas de femmes blanches sur cette video? Et où sont passés les hommes noirs?
On note en effet que sur la vidéo que les hommes sont des blancs et les filles sont des noires; on pourrait épiloguer sur le mélange des couleurs….
L’explication est simple: chaque jour, nos amis blacks, ils viennent au Karmel pour l’apéro et selon qu’ils sont dans leur vie puissants ou misérables, il seront scotchés au comptoir ou juste de passage. Mais, en tous cas, un peu ou beaucoup plus tard nos amis blacks auront pris congé, bien avant le service dans la salle à manger.
Courtoisement, après avoir été plus ou moins engagés dans des conversations bicolores, et avoir dépenser sans compter au comptoir, ils s’esquivent, laissant la place aux convives, qu’ils n’accompagnent que rarement jusqu’à table.
Tout simplement parce que venu, sans femme ni enfant, il se doivent de les rejoindre pour déguster le bon Diep Bou Dienne (riz au poisson, le plat familial national) préparé par Madame pour le repas de midi. Du riz et du poisson, c’est le plat familial national.
On note aussi l’absence des femmes blanches. C’est comme s’il y avait une entente tacite: les hommes noirs sont absents, les femmes blanches aussi: les gazelles (noires) restent donc seules avec les gazoux blancs (encore appelés sénégaulois!). Je parierais bien que leurs familles sont encore en vacances en France (femme et enfants).
Les vacances c’est pendant l’hivernage, lorsque les entreprises sont à l’arrêt à cause des fortes pluies, de la saison…des pluies. Et pourquoi les pluies empêchent-elles les entreprises de travailler? Les routes et les pistes sont inondées, dégradées, défoncées, en ville comme en brousse.
En ville les embouteillages durent des heures, les poteaux électriques ou téléphoniques s’abattent sous les bourrasques. L’électricité est coupée, l’eau courante aussi, ainsi que les communications. Finalement les hommes restent à Dakar pour les réparations, les protections, les consolidations qui exigent leur présence pendant toute la saison des pluies.En brousse des camions basculent de travers, coupent sur les pistes la circulation pour des heures , voire des jours ou même des semaines. Des ornières profondes forment des lacs infranchissables, impossible de se rendre au chantier, où les engins sont immobilisés pour plusieurs mois lorsque l’on n’a pas pris la précaution de les ramener à temps à la base. Puisque cette saison des pluies coïncide avec la période des vacances scolaires au Sénégal ( alignées sur la France), parmi les expatriés, seuls les fonctionnaires, en majorité des enseignants, avec leurs femmes et enfants rentrent en métropole pour l’hivernage. Par contre tous les autres sont, en quelques sorte coincés en ville. Ainsi dès le premier soir des vacances scolaires, les femmes et les enfants prennent l’avion pour la France, pendant que les hommes restent au Sénégal, pour faire tourner les affaires, …et se retrouvent tous en boîte de nuit, dès que leur famille a passé la douane et se dirige vers la salle d’embarquement. Pour les gazelles, c’est la soirée de l’année qui marque le début de la « quinzaine du blanc » (souvenez vous: sevrés, depuis des mois, les gazoux prédateurs se ruent sur leurs victimes: les gazelles consentantes).
A l’heure où l’on sert le dessert, en altitude dans l’avion, les hommes, quoique cloués au sol, entament leur ascension vers le septième ciel, chacun avec sa chacune, chaque gazoux avec sa gazelle.
Olè!
J’entre dans le bar avec Moana. Le serveur de derrière le comptoir me reconnait, car finalement cela ne fait que deux ans que j’avais disparu, ( pour aller, on s’en souvient au Cameroun, puis au Maroc, avec des contrats en béton armé signés avant mon départ et mis en application dès mon arrivée ).
Maintenant j’arrive plutôt au Sénégal, plutôt une main devant et une main derrière (comme on disait des pieds noirs à leur arrivée en France, après l’indépendance de l’Algérie). Et pourtant je vais trouver du travail assez rapidement grâce aux relations, aux amitiés liées au comptoir du Karmel.
D’abord, en premier lieu et avant tout, Jean Pierre le patron, personnage débonnaire fort sympathique (que l’on aperçoit sur la video, traversant la salle, en chemise blanche avec Patrick qui l’interpelle), et enfin Armand qui n’est pas sur la video car il est décédé, en 2012, dans des circonstances troublantes, que je raconte plus avant. Le Kermel allait devenir mon lieu de prédilection, après le travail, à midi comme le soir.
C’est un certain Patrick Dujardin, qui allait être à l’origine de mon premier job: Un matin, quelque temps après mon retour à Dakar, perché sur mon tabouret et le coude sur le comptoir, avec dans la main un verre de pastis, je salue un homme blanc, en veste et cravate qui s’installe à côté de moi. Comme moi, il a le contact facile et la conversation démarre sur les propos habituels, qui finalement permettent de cerner à peu près à qui on a affaire.Aprés quelques minutes de banalités, (le temps qu’il fait est un sujet recommandé, car il ne peut fâcher personne), nous abordons les présentations, et, en fait on est vraiment libre de se présenter comme on veut. Je commence le premier: « alors, que faites vous de beau au Sénégal, cher monsieur ». Et pour ne pas être trop intrusif, j’ajoute, avant qu’il ne réponde que pour ma part, avec humour et autodérision avant qu’il ne réponde::
« Voilà, moi Xavier, toi, Jane. Et moi, je suis un repris de justesse ». Il trouve cet entrée en matière tellement fine et sympathique, qu’il m’interrompt d’un ton autoritaire et sans appel par un : « Qu’est ce que vous prenez, Xavier? ».
J’y vais franco: « un whisky coca, s’il vous plaît ».
« Garçon, deux whiskies coca, sur mon compte ».
Derrière le bar, Jean Pierre se frotte les mains: avec ces deux là, j’m’en va faire du chiffre d’affaire.
Les verres sont servis: »A la vôtre », « A la tienne Etienne (ça c’est moi) et merci pour le verre ». Bon j’abrège, sinon on y est encore demain.
Alors lui, il est conseiller du Ministre de la formation professionnelle depuis deux ans…
Et moi, je suis ingénieur hydraulicien, à Dakar depuis deux jours….Mais comme je connaît bien le Sénégal et les sénégalais, je lui raconte mon premier séjour au Sénégal, avec le prestigieux poste de DG de la Sté Nationale de forage en 1986-88, et tout le reste….
Puis en 2003 – 2005 : Chef de mission de suivi et contrôle d’un projet d’alimentation en eau potable de 11 villes régionales.
Et en 2009: ingénieur WatSan (water and sanitation) pour l’assistance aux victimes des inondations à Pikine (Dakar).
Et maintenant en 2012: je ne suis qu’un chomiste repris de justesse, mais bien décidé à décrocher de nouveaux contrats.
Comme Patrick est un homme intelligent, il rebondi d’emblée sur les termes « nouveaux contrats » et me demande plus de détails sur mon curriculum vitae (CV). Alors je parle de moi…
Puisque je cherche un job, Patrick va me recommander, aujourd’hui même à SETICO, un bureau d’études privé, dont il me donne les contacts.
Le lendemain matin je téléphone au patron de SETICO, et lui parle très simplement, expliquant que je suis ingénieur hydraulicien, à la recherche d’un job. Et je lui propose de recevoir par mail mon CV, que je vais lui envoyer tout de suite. Il est intéressé et me demande aussi de venir le rencontrer maintenant à son bureau. Il aurait peut-être quelque chose à me proposer.
Lorsque j’arrive à son bureau d’études, on se serre la main et il me tutoie tout de suite. Il se trouve que nous avons étudié tout les deux à la même école d’ingénieurs à Grenoble (mais lui bien après moi), nous avons donc le même diplôme. Ca rapproche immédiatement.
Il a vu sur mon CV, que j’avais travaillé avec l’ONG OXFAM bien connue au Sénégal (et à travers le monde) en 2010 pour l’assistance au victimes des inondations , . Et il m’expose que:
SETICO est invité à répondre à un appel d’offres pour une assistance technique à la mise en œuvre des activités du PROGEP (Projet de Gestion des Eaux Pluviales et d’Adaptation au Changement Climatique) au Sénégal.
Il recherche donc dans ce cadre un chef de mission résidant à Dakar, pour une durée de 24 h mois répartis sur 2,5 ans (à priori à compter de l’automne, vers novembre). Serais-je vous intéressé par le poste? Je réponds que oui. Voilà encore une chance, à peine arrivé au Sénégal, je suis en passe de trouver un job, pour une durée de deux ans. (à priori à compter de l’automne, vers novembre).Seriez vous intéressé par le poste? Je réponds que oui. Voilà encore une chance, à peine arrivé au Sénégal, je suis en passe de trouver un job, pour une durée de deux ans et demi.Ci-dessous les TDR de la mission, dont j’assurerais, si nous gagnions l’appel d’offres l’exécution sur le terrain à Dakar. Et une video en rappel sur les souffrances endurées par les victimes des inondations de 2009, et sur le programme d’assistance que l’ONG OXFAM leur avait
Ci-dessous une video en rappel des souffrances endurées par les victimes des inondations de 2009, et sur le programme d’assistance que l’ONG OXFAM leur avait apportée, avec ma contribution comme chef de mission.
Voici l’essentiel des termes de référence, à télécharger en entier si ça vous intéresse.
« A l’effet de trouver une réponse durable aux inondations, le Gouvernement de la République du Sénégal et la Banque Mondiale ont décidé de la préparation d’un projet de développement urbain dénommé « Projet de Gestion des Eaux Pluviales et d’adaptation au changement climatique (PROGEP) ».
Ce projet, d’un coût global estimé à soixante douze millions neuf cent mille (72.900.000) de dollars US prévu de se dérouler sur une durée de 5 années vise à réduire les risques d’inondation par l’amélioration du système de drainage des eaux pluviales dans les quartiers périphériques de l’agglomération de Dakar. La réalisation de ces ouvrages devrait permettre, à terme, de trouver une solution durable aux inondations qui frappent régulièrement la banlieue de Dakar, affectent, chaque année, des milliers de personnes et provoquent des dommages importants aux biens privés et publics ».
Pour avoir la chance de remporter cet appel d’offres, Setico doit s’allier à un bureau d’études français, le B.R.L. afin de constituer un solide dossier, une solide soumission. Je ne détaillerais pas leur contribution, préférant me concentrer sur la mienne:
Pour ma part, il s’agit surtout de fournit mon CV selon le format souhaité par le bailleur de fonds.
Ma contribution pourrait être un système de gestion par base de données des plans mais aussi de tout document relatif au projet, puisqu’il est adossé sur une nomenclature à constituer à l’avance.
En voici une présentation power point (mais j’ai des explications plus complètes).
Le logiciel existe et est opérationnel.
Enfin, un dossier d’une quarantaine de photos sur les inondations de 2019, montrera mon expérience passée dans les quartiers inondés, avec les habitants comme avec les autorités municipales.
Il me reste à me mettre d’accord avec le B.R.L. (qui assure finalement la direction du groupement avec Setico).
D’accord sur les termes de mon contrat et le montant de ma rémunération mensuelle:
En même temps Setico et BRL rédigent leur offre commune. C’est souvent un gros dossier de plusieurs kilos, car il regroupe et collationne leurs références, leurs plaquettes publicitaires …etc. Puis BRL l’expédie, bien empaquetée en recommandé à Dakar, Direction du Projep, juste avant la date limite. Ci-dessous le mail de Nathalie du BRL:
Et maintenant il ne nous reste plus qu’à attendre le résultat En croisant les doigts!
Puis, 20 jours plus tard, dans l’attente du résultat ma question.
Et enfin le 18 septembre, la réponse du Projet est arrivée.
Nous n’avons pas gagné. Tout ce travail pour rien. Et moi qui espérait un job pour une durée de deux ans, ça tombe à l’eau! Encore une histoire d’eau qui tombe à l’eau!
Allez, on fera mieux la prochaine fois. Et je vais de ce pas, me consoler au bar Le Karmel.
Olé! mais le coeur n’y est pas.
Snif, snif, ce soir j’ai le vin triste.
Mais je vais rebondir! Et voilà voilà comment:
deux ou trois mois plus tard, Jean avec lequel j’ai développé des relations franchement amicales, appelle un de ses amis sénégalais, Mamadou Gueye, directeur et propriétaire de son propre bureau d’études. Il lui parle un petit moment puis me passe son portable.
« Monsieur Meyer? ». « Oui enchanté M. Gueye ». Et je lui parle un peu de moi, j’adore ça. Comme ça dure un peu trop longtemps, il m’interrompt poliment, et me demande si je suis compétent pour évaluer un programme national de construction de plusieurs villes nouvelles, destinées au recensement des victimes des inondations. Ma réponse fuse: « Oui, oui, M. Gueye. Pour l’avoir fait à plusieurs reprises, je pense bien que oui, M. Gueye ».
« Très bien, dans ce cas là, pourriez vous passer à mon bureau demain matin… ».
Le lendemain matin, convenant avec moi que j’avais bien les compétences pour évaluer les conventions entre la société « APIX s.a, chargée de la Promotion de l’Investissement et des grands Travaux », et l’AGETIP, « Agence d’exécution des Tavaux d’intérêts Publics »
M. Kane me remet la convention qui précise le cadre de leur collaboration.
1- Pour la réalisation du tronçon d’autoroute allant de Pikine à Diamniadio,
2 – ainsi que pour la réalisation d’une zone de recasement à Tivaouane Peulh et la restructuration du quartier Pikine Irrégulier Sud (PIS).
Ainsi que la Convention cadre qui dans les domaines susmentionnés précise les modalités générales d’intervention des parties, qui feront l’objet d’une ou de plusieurs Conventions d’exécution spécifiques.
Et enfin l’ Arrêté du Premier Ministre portant désignation de l’AGETIPcomme Agence d’Exécution des travaux d’aménagement et de construction de logements à réaliser sur le site de recasement des personnes déplacées dans le cadre de l’exécution du projet d’Autoroute à péage.
Et M. Kane m’indique que dans deux semaines aura lieu la réunion de présentation de son expert, à savoir moi même. Evidemment il conviendrait que d’ici là, j’ai bien absorbé, et digéré ces trois documents….
Voilà qui va m’occuper et m’obliger à réduire mon temps de présence au bar le Kermel, c’est à dire le nombre de whiskies, ou de verres de rosé, selon l’humeur que je m’envoie dans la journée.
Finalement pendant que je me mets au courant, c’est surtout Pape Kane qui prépare son:
Rapport d’ « Orientation méthodique.ROM. » qu’il remettra à la réunion.
Puis, le mercredi 4 décembre 2012, Kane et moi même nous rendons à l’APIX. En premier lieu, il remet son rapport ROM à M. ANE, et puis c’est ma présentation au cours de laquelle conformément à l’usage, je prends la parole pour délivrer quelques commentaires sur mon parcours à l’international, puis sur ma connaissance du présent contexte, suite à ma mission d’assistance aux réfugiés des inondations initiée par OXFAM deux ans plus tôt. Je brode aussi un peu sur ma connaissance du Sénégal, déjà exposée dans mon CV, qu’il tient entre ses mains. Il le parcourt des yeux, à la volée, tout en prêtant une oreille attentive à mes propos. Des hochements de tête presque imperceptibles soulignent ça et là son appréciation qui me parait favorable.
Notre package est tout à fait présentable, et comme Kane est connu de l’APIX depuis des années, notre tandem est convaincant et ma candidature est acceptée. Puis M. ANE, nous décrit le chemin à suivre pour notre mission, à savoir en premier lieu des visites, de politesse et de travail avec les partenaires techniques et financiers du programme:
M. le Directeur Général des Grands Travaux
Les ingénieurs de l’APIX
Le service de libération des emprises
L’Agence Française de Développement
Le service « Qualité »
La cellule de passation des Marchés de l’Apix
La Direction des investissements
La Banque Mondiale
Chaque réunion se déroule à selon le même canevas explicité dans le compte rendu ci-dessous (6 décembre 2012).
A l’issue de ces réunions, et des visites effectuées sur les chantiers de Tivaouane Peul, je suis en mesure d’élaborer une minute de mon rapport provisoire, que j’envoie à Ababakar Kane.
Arrivé à ce point, mon travail n’est terminé pas tout à fait terminé:
Je réalise une présentation Power Point pour projection sur écran, afin de donner du punch au rapport présenté sous le nom d’ababcar Kane, puisque c’est lui le détenteur du contrat avec APIX.
Cette projection est effectuée dans la grande salle de réunion de l’APIX, début janvier 2013″ devant le staff.
Psychose
C’est le travail qui me sauve de la psychose, et finalement je n’en ai pas manqué. Mais dès que je sors du bureau, du boulot, je ne peux m’empêcher d’observer les choses étranges qui se passent autour de moi.
Ça commence le lendemain de mon arrivée, au moment précis où mon fils sort la voiture pour m’emmener visiter ses bureaux. Comme il fait chaud nos vitres sont grandes ouvertes: un véhicule garé quelques mètres derrière nous, s’avance et nous bloque deux secondes la sortie. Le passager de l’avant en profite pour me fixer, et je le reconnais: il s’agit du chef du groupe de mes ennemis de Haroura!
Incroyable, il aurait donc fait le voyage hier, dans le même avion que moi. Mais, je commence à être familier des filatures organisées par l’Organisation; et je me rappelle que j’avais bien repéré dans l’Agence de la RAM à Rabat (Royale Air Maroc) un gus qui s’approchait pour tenter de capter au vol, le jour, la date, et l’heure de mon envol vers le Sénégal!
Quelque temps après mon arrivée au Sénégal, j’appelle Koura et elle n’a pas l’air fâché avec moi (comment se fâcher avec son bienfaiteur ?) malgré la manière, plutôt cavalière dont je l’avais licenciée au Maroc, finalement peu de temps auparavant. Je l’invite alors à dîner ce soir, au Kermel, où les buveurs et les convives commencent à me connaître, mais sans que je me sois vraiment inséré dans leur cercle: amical, intéressant, mais plutôt solitaire, et un parfois trop prolixe notamment sur des sujets glissants qui dérangent. Bref inconnu au bataillon, mais ça pourrait bien s’arranger.
Ils sont surpris de me voir en si bonne compagnie. Et le patron, dont je connais à peine le prénom, (« voilà, c’est Jean Pierre »), vient discuter un peu avec nous, très amical lui aussi. Un verre ça va, trois verres, bonjour les dégâts…
Alors JP nous introduit dans sa salle de restaurant. Et avec Coura nous reprenons la conversation, là ou nous l’avions laissée neuf mois plus tôt. Evidemment elle n’ a pas d’argent, et a du mal à joindre les deux bouts et à payer l’école pour sa petite fille, Rockaya. En sortant du restau, je serais bien tenté de remettre le couvert avec elle, mais je ne peux pas me pointer avec elle chez Moana, et sa famille. “Nez en moins“ pour l’aider, je lui tends un billet rouge…
Nous nous retrouverons comme ça pour dîner, assez souvent lorsque j’ai besoin de sa compagnie pour me remonter le moral. Nous allons maintenant le plus souvent au restaurant d’Olivier, excellent cuisinier, chez qui je mange parfois du cheval, mais jamais du cochon. Allez donc savoir pourquoi? A chaque fois j’allonge un billet rouge à Koura, pour la bonne compagnie!
Nous passons aussi des après midi ensemble, dans un restaurant du bord de la mer, à la plage de N’Gor, où il y a une belle piscine. mais pas de chambre!
Alors je m’oriente plutôt vers un petit hôtel, dans le même coin, avec chambre et même une petite piscine à coté du restaurant à l’étage. Moana nous y dépose, avant de retourner au bureau. Nous commandons à boire et à manger, le tout arrosé d’un rosé de Provence bien frais, et après le café, voilà le garçon qui m’invite à descendre au RDC (le rez-de-chaussée, pas la République Démocratique du Congo!) où quelqu’un veut me voir. Il ne m’en dit pas plus, alors je demande à Koura de m’excuser deux minutes, et je descends les quelques marches. Franchement, arrivé au RDC, je suis surpris par la rencontre: une jeune femme en maillot, sans soutien gorge, et elle a une belle poitrine, avec dans ses bras un bébé……un bébé gorille. On discute un peu: Bla, bla, bla..elle est mariée, son mari travaille aux Nations Unies, et au Sénégal, il est expert en reforestation.
« Et moi, qu’est-ce que je fais ici? »
Alors je lui raconte, je parle de moi, j’adore ça, et je lui précise que comme son mari, j’ai été expert au Nations Unies: pour l’UNHCR (Haut Commissariat de l’ONU pour les Réfugiés).
Elle me demande alors si j’accepterais de le rencontrer pour parler de tout ça. Il a besoin de renseignements, et il sera là
vers 17 heures. J’accepte avec plaisir.
Cependant à l’heure dite, je suis un peu déçu, parce que il n’y a plus personne. Ni elle, ni lui..Enfin, bref, passons!
La position d’Andromaque
Pour BB et pour moi, l’heure des retrouvailles dans un bon lit douillet est venue. Je descend illico demander une chambre au réceptionniste. Il n’y en a plus qu’une et c’est la plus chère, la plus confortable. Qu’importe, au diable les varices, je paye d’avance et vais chercher BB, pour l’introduire dans la chambre. Bien sûr, je vais opter pour la meilleure position: celle d’Andromaque.
Bouffer, boire et…siester, nager…etc. Peut être serait-il temps maintenant de remettre le 3ème B à nos activités…Je n’ai pas oublié la position d’Adromaque avec ses »plus haut », « plus bas », « voilà, là…lalalalalère..Yés you can, thank you, baby » Waouh! »
En visionnant cette video, je n’apprends rien de nouveau:
C’est une symphonie: A BB dominante au début, de jouer l’introduction (la mise en bouche..), puis le refrain (sur le chanfrein), et puis, à moi de planter le décor, et de prendre la direction de l’opéra sion:
« PLUS HAUT, PLUS BAS, ENCORE UN PEU…etc », toujours la même chanson, comme quelques années plus tôt au Cameroun.
Et enfin pour moi, la sensation sensationnelle, au point G masculin, le gémissement incontrôlable, et reproductible à l’envie: c’est le sommet de la jouissance, Koura prolonge sa présence en G, me faisant plonger et replonger, ….puis elle me pilote avec plaisir et bonheur vers la dispersion de mes gènes sur son propre G… et vient pour elle la divine vidange.
Ça me rappelle une fameuse chanson de Tahiti:
https://www.youtube.com/results?search_query=te+manu+pukarua
La farandole des taxis
Un beau jour alors que je déambule paisiblement sur le trottoir de l’avenue de France, je ressens une pression étrange autour de moi: les taxis se succèdent, en longeant le trottoir, très prés de moi, à vitesse réduite et les vitres baissées. A l’intérieur de chacun, une femme, ni jeune, ni vieille, bref une mère de famille. Chacune m’observe au passage, et même plus que ça, puisque l’une d’elle à l’amabilité de me traiter de salop. Stoïque, je compte les taxis: une bonne trentaine qui paraissent faire la ronde, l’un derrière l’autre, avec ces visages si peu aimables qui me dévisagent. Je les vois passer devant moi deux ou trois fois à intervalles réguliers….Alors, un peu niais, je leur souris….
Ce qui paraît mettre fin à leur folle farandole…Que penser?
La mort d’Armand:
Armand Goeppe est décédé.
Cette nouvelle nous tombe dessus, comme un coup de tonnerre, nous choque et me déstabilise.
Armand était un habitué du Kermel, et nous nous entendions bien.
Un jour il m’avait donné un conseil : “ Xavier, tu parles trop, ici au comptoir. Ce que tu nous racontes est intéressant, et tu le dis souvent avec humour, mais les gens ne sont pas toujours prêts à adhérer à ton humour, à l’autodérision, laquelle prise au premier degré te discrédite à leurs yeux. Alors, si j’avais un conseil à te donner, tu devrais être, à mon avis, un peu plus prudent dans tes propos… “
Voici le mail-requiem de Patrick :
“Armand, nous buvions encore un verre ensemble il y a deux jours et nous dissertions sur le passé et le futur. Tu disais que je t’avais remplacé au Ministère, tu piaffais sur les mauvaises personnes et les mauvaises pensées, tu étais un compagnon honnête et reconnaissant, surtout pas raciste comme certains mal intentionnés ont voulu le faire croire. A preuve tu étais mon ami ! Mais pourquoi es tu parti sans dire « au revoir » ? Sans payer ton pot ? Que de souvenirs s’emmêlent ! Depuis 2005 que nous nous connaissons je n’accepte pas que tu partes ainsi. Palu foudroyant ! Mais pourquoi toi et à Dakar ? Salut mon ami, là où tu es, si cela existe, pense à nous et nous continuerons à célébrer la vie au nom de l’amitié “.
Vingt ans après, je ne crois toujours pas à cette histoire de paludisme, qui arrangeais bien l’ambassade de France. Pourquoi ? Et bien voilà :
Quelques jours avant sa mort, Armand me confiait qu’il avait une relation depuis peu, avec une sénégalaise, femme adulte, de classe aussi bien dans sa présentation que dans ses propos. De la Haute, comme on dit, belle et séduisante, qui l’impressionnait beaucoup, et qu’il trouvait attachante. A tel point qu’il envisageait de mettre fin à sa vie de bohémien, pour se consacrer sincèrement à cette nouvelle relation.
Et pour commencer, il mettait fin à des années de fréquentation assidue du bar Kermel, où on ne le voyait plus qu’épisodiquement . Jusqu’au moment ou l’on ne le vit plus du tout. On en parlait entre nous, les habitués journaliers du Kermel, mais faute de renseignement malgré nos recherches, nous nous fîmes une raison, et continuâmes nos libations biquotidiennes sans plus y prêter attention.
Quoique, depuis sa disparition, personnellement je passais chaque jour devant la maison de son fils, PJ (Pierre-Jean) et constatait que la voiture de ce dernier (qui était parti en vacances en France avec sa jeune femme) était toujours sur le trottoir, avec ses quatre pneus crevés.
Puis un de nos amis qui habitait dans un village de la petite côte, à une centaine de kilomètres de Dakar, et qui remontait de sa brousse, comme tous les mois, pour toucher sa pension de retraite, nous apprenait qu’il avait hébergé chez lui Armand, pendant le mois écoulé. Un mois complet.
Et que celui-ci était remonté avec lui à Dakar, où il l’avait déposé à la villa de son fils. Il était très affecté par la disparition de sa nouvelle relation.
Apprenant qu’Armand était rentré du village, on s’attendait donc à le voir, au comptoir de notre bar, d’un moment à l’autre. Mais rien de tout cela.
Quelques uns d’entre nous s’étant rendus sur place, n’avaient trouvé qu’une porte close, sans lumière et les climatiseurs à l’arrêt. Un autre avait réussi à le joindre sur son portable, mais Armand lui avait ordonné, très fermement de ne pas venir chez lui. Il était malade, mais pensait passer au Kermel dès son rétablissement, probablement dans quelques jours.
Jusqu’au jour où tombe la sinistre nouvelle ! On a d’abord cru à une blague et bu force verres de rosé à sa santé. (si l’on peut dire, mais le souvenir ne s’était pas encore installé, pour nous Armand était toujours vivant. Ailleurs, autre part, quelque part).
“Armand, si tu es là haut, si tu nous entends, nous buvons à ton rétablissement, au retour de ta santé“.
Mais peu à peu s’insinuait dans notre thalamus la vérité crue.
Notre copain était bel et bien (si l’on peut encore dire) mort chez son fils. Retrouvé décédé, amaigri, dans sa chambre d’un désordre indescriptible, avec du vomi dans les quatre coins de son lit…
En Afrique, la première cause de mortalité, ne serait pas la faim, ou la soif, ni la maladie, mais l’empoisonnement (selon un rapport écrit pour la Banque Mondiale par un collègue camerounais). Son livre explique que dans les villages africains, chaque habitant prend bien soin de ne pas se faire d’ennemis. Par crainte d’être empoisonné.
Le lendemain, commentant ce bien triste événement, je raconte à un nouvel ami (arrivé depuis peu de Marrakech ! et employé sur le chantier de l’hôtel IBIS), ce qu’Armand m’avait confié sur sa nouvelle liaison. Et bien ! Lui me confie qu’Armand lui en avait aussi parlé, avant qu’il ne s’enferme dans sa maison : il était extrêmement inquiet, parce qu’il venait d’apprendre la mort de sa nouvelle conquête…
A l’enterrement d’Armand, je n’étais ni derrière, ni devant, je n’étais pas seul à l’enterrement. Tout un aéropage administratif suivait le corbillard, mais je ne pouvais m’empêcher de penser que parmi eux, il y avait des fonctionnaires qui allaient maquiller sa disparition. Et pourquoi ne pas le dire que le requiem de Patrick (dont je ne doute évidemment pas de sa douleur d’avoir perdu un fidèle ami), en écrivant et partageant à la ronde, la maladie “le Palu foudroyant“, rendait bien service à l’Ambassade de France, peu soucieuse de rentrer dans des complications diplomatiques. Armand avait été pendant quatre ans, conseiller d’un Ministre sénégalais, quant à la femme assassinée…on en parlait, en coulisse, à mi-voix, dans les milieux sénégalais, proches de son mari, un marabout notable.
Voilà, le temps passe, et toujours sans emploie je vois mes économies fondre comme neige au soleil. Et en Afrique, il n’y a pas beaucoup de neige et, par contre beaucoup de soleil. C’est dire comme ça fond vite !
Comme j’ai pris l’habitude de Boire et Bouffer (mais pas de B…) au Kermel tous les jours, j’indique à Jean Pierre, le patron que je n’en ai plus pour longtemps avant de me retrouver à sec, sans argent, et que je ne pourrais malheureusement pas continuer à fréquenter son honorable établissement. Il a une excellente réaction : « Xavier, quand tu seras à sec, dis le moi, tu pourras toujours venir ici te rincer le gosier, et passer à table gratuitement. Tu sera mon invité tous les jours, et il en sera ainsi tant que tu resteras à sec à Dakar ». Incroyable marque d’amitié ! Jamais un patron de bar, ou de restaurant, ou de bar-restaurant ne m’a parlé ainsi !….
Une dernière fois, le moral en berne, je me dirige vers le DAB le plus proche, pour faire un dernier retrait de mon compte en banque, lequel je pense a un solde presque nul. Je tape 10.000 CFA…le billet rouge apparaît. C’est déjà une bonne surprise ! Je n’en espérais pas tant. Bon, voyons voir s’il en reste encore : je retape 10.000. Un autre billet rouge. Je suis interloqué.
J’essaye 20.000 : 2 billets rouges. Olé !
J’essaye 30.000 : 3 billets rouges. Olé !
Maintenant, au diable l’avarice :
J’essaye 50.000 : 5 billets rouges. Olé !
J’essaye 100.000 : 5 billets rouges. Olé !
Et puis je continue de débiter par tranche de 100. 000
Encore 100.000 : Olé !
Encore 100.000 : Olé ! Olé !
Encore 100.000 : Olé ! Olé ! Olé !
Encore 100.000 : Olé ! Olé ! Olé ! Olé !
Encore 100.000 : Olé ! Olé ! Olé ! Olé ! Olé !
Total : 710.000 CFA = 6.000 Euros, environ.
J’avoue que je suis plutôt content de cette transaction. C’est bien la première fois que la famille DAB me fait une faveur qui vient, fort à propos, contre-balancer ses misères antérieures.
Alors maintenant, je me pose la question, devrais-je rembourser la banque ? Après tout, ce ne serait pas un vol puisqu’il ne s’agit que d’une erreur de la banque en ma faveur…
Bon, on verra plus tard, nous sommes samedi, on verra lundi, et je vais profiter du week-end pour faire la fête, ou si l’on préfère pour faire la java. Toutefois, il me faut être prudent, ne pas me balader en ville avec 6.000 euros dans la poche. Et surtout ne pas aller en boîte pour me retrouver plein comme une outre, vulnérable face aux mamelles d’une gazelle, ou d’une pucelle. Pour assurer mes arrières, je file, tout droit chez mon fils en taxi, où je planque le magot sous le matelas de mon lit.
Puis, le cœur léger, je retourne au Kermel, où j’offre quelques tournées générales. Et à la fin du repas, bien en forme je saisi la guitare d’un copain, monte sur le bar, et entonne à la surprise générale, une chanson Tahitienne, bien rythmée, et facile à accompagner :« Te manu Pukarua ». “L’oiseau de Pukarua“.
Pukarua: Un petit atoll, perdu dans l’archipel des Tuamotu, où la consanguinité, selon un vieil adage, aurait transmis l’héritage de quelques ravages sur les visages dans le village. Nez plat et bouche lippues. Immédiatement tous les convives se lèvent et se mettent à danser. Les filles, les femmes les bras en l’air esquissent une gestuelle toute orientale. Et plus étonnant, les hommes font de même, et lèvent les bras en tournant lentement sur eux mêmes et en claquant des doigts Sans y être jamais allés, les convives ont reproduit les gestes en cours à Marrakech, chez mes chères danseuses. Langage inconscient, universel, reptilien, mais inscrit depuis des millénaires dans notre subconscient ? Mémoire surgissant de nulle part mais collée à nos basques, à travers l’espace-temps, jusqu’ici et maintenant.
Le week-end se passe fort bien, car comme on le sait, l’argent ne fait pas le bonheur, mais il y contribue. Ou encore, L’argent ne fait pas le bonheur de ceux qui n’en ont pas ! Wallaye ! Le lundi, mon programme est d’acheter un coffre-fort portable, façon caisse de chantier. Et de prendre ma décision, rembourser la banque, Oui ou Non ?Je ne l’avais pas encore décidé, lorsque je reçois un coup de fil de ma banque française. “6000 euros c’est énorme“, glapit la secrétaire qui s’occupe de mon compte à la banque Sofisac. Et arrive les recommandations, de la banquière : « Monsieur Meyer, voilà ce que je vous propose : versez cette somme sur votre compte chez nous, et l’affaire est close. J’espère que vous n’avez rien dépensé pendant le week-end. ? » C’est alors, que moi qui me demandais si j’allais rembourser ou pas, je me surprend à répondre sans hésitation, et un peu bêtement : « Hélas, chère Madame, j’ai achetée une voiture ».“Bien, dans ce cas je vous conseille de téléphoner au numéro suivant, “bla, bla“,à mon chef de service qui va vous expliquer ce qui va se passer ! Au revoir Monsieur“. J’avoue que j’ai oublié sa recommandation et oublié aussi de téléphoner au chef de service. Alors que s’est-il passé après ?
D’abord je dois dire que j’ai honteusement profité de cet argent (on n’a qu’une seule vie, n’est-ce pas ?). Ensuite en mangeant à midi au Kermel et le soir au Café de Paris (le meilleur restaurant de Dakar), puis en louant un studio au Club des Corses (pour avoir mon intimité, hors de propos chez mon fils), puis en délivrant des billets rouges à quelques gazelles…et sincèrement je pense qu’il y a eu aussi des prélèvements sauvages, dans mes poches, et peut-être dans ma caisse de chantier. Mais que peut-on contrôler quand on a une vie de “bâton de chaise “ ? Mon fils était parti pour trois mois, à Tahiti, car il avait envie de s’y réinstaller, mais avant il voulait voir qu’en était-il de l’ambiance des affaires dans la nouvelle Cythère. J’invitais tous les dimanches à midi, ma belle fille, Mamou et ses deux filles, encore petites. Mes petites filles, Imane et Nawal. Nous mangions attablés à la terrasse du “Club des Corses“, une véritable institution à Dakar, et un endroit fort sympathique, sur la petite corniche, avec une jolie piscine surplombant la mer. A l’entrée duquel oscillait au gré des alizés bonheur, un mur de bougainvilliers violets, jaunes, oranges du plus bel effet.
Le club était fréquenté essentiellement par des français et des libanais, deux diasporas installées, et influentes de longue date au Sénégal.
Leur présence ayant été remise en cause un moment, pour rehausser l’ image de leur colonie les libanais décidaient de financer l’équipe nationale de football du Sénégal, et donc, en particulier de la rehausser.
Ça tombait bien, l’ancien stade, vétuste, venait de fermer ses portes, pour être remplacé par le stade de l’Amitié, bien plus grand et moderne, construit par les chinois en 1987. Résultat d’un travail de longue haleine, et avec le concours d’entraîneurs réputés: Lors de la poule finale du championnat du monde en 2002, en match d’ouverture, l’équipe du Sénégal bat la France championne du monde en titre (1-0, but de Papa Bouba Diop).
Ce dimanche matin nous n’étions que deux groupes allongés au bord de la piscine : Nous, Mamou et ses deux petites filles ; et de l’autre coté, en face de nous, deux couples de libanais, chacun avec sa chacune. Tous bien éméchés, c’était l’heure de l’apéro. Enamourés et transcendés par l’alcool, ils se livraient sans retenue à des propos tendres ou grivois, à des gestes déplacés ou au contraire trop bien placés. On sentait, à distance la température monter, et le désir qui progressivement repoussait les limites de la décence habituelle. Les enfants posaient à leur maman des questions sur ces comportements, pour eux, étranges et singuliers; nous les adultes, nous nous sentions un peu dérangés par ces ébauches de débauche…Finalement nous décidons de passer à table, les laissant à l’écart, pour passer à autre chose. On en parlait quand même un peu, Mamou et moi, regrettant que ce spectacle frivole se soit déroulé devant les enfants. A la fin du repas, retour à la piscine, les libanais(es) étaient partis…Nous restons environ deux heures, toujours seuls clients au bord de la piscine…puis nous allons, comme d’habitude le Dimanche, à faible distance, déguster d’excellentes et monumentales glaces de toutes les couleurs.
Le lendemain matin, entrant dans le salon au milieu duquel est étalé un grand matelas, je salue Mamou. Elle a revêtu une élégante tenue traditionnelle sénégalaise ; je l’en félicite et m’informe sur ce matelas incongru ? « Ce n’est rien, on l’a sorti de la chambre, juste pour le faire respirer. Sur ces mots, elle me salue et sort de la maison, prenant sur la droite la rue vers le commissariat de police… Quelques temps plus tard, à midi, me voilà en train de manger, tout seul, au Café de Paris. Peu après moi, deux ou trois familles libanaises s’installent à une grande table, dans un autre coin du restaurant. Après le dessert, les hommes se lèvent pour parler des affaires sérieuses à l’écart. Et s’asseyent à une longue table, proche de la mienne; ils entament sous la direction de l’Ancien, le Parrain, une discussion portant sur un des leurs. Ils parle de sa conduite en général, et de son homosexualité, en particulier ; lesquelles dérangent et déshonorent la communauté. Ne désirant pas, par discrétion et par prudence, en entendre plus, je me lève et me dirige vers une table, de l’autre coté de la salle. Lorsque je me lève, je croise dans le regard du Parrain, comme un signe d’assentiment. Quelques semaines plus tard, toujours un dimanche au Club des Corses, voilà deux familles de libanais qui arrivent ; deux mamans s’en détachent, s’approchent de notre table, nous saluent et me parlent : « Monsieur, nous vous remercions, sincèrement nous vous remercions ».« De rien, Mesdames, mais de quoi donc ? »
« Nous voulions juste vous remercier, Monsieur. Bonne journée ». Une heure plus tard, ce sont deux libanais qui m’attendaient assis sur leur chaise, à proximité de la sortie du Club. On me tend une chaise et on m’invite à m’asseoir. Ils ont tous deux le visage tuméfié et les yeux au beurre noir. Mamou prend les devants et me donne rendez vous chez le glacier.« Voilà, nous voulions parler avec vous. » “OK, pourquoi pas ?“ Et on parle de choses et d’autres ,en particulier de nos métiers respectifs. Au bout d’un moment, un petit silence, un ange passe…Ils me remercient de l’échange. Se lèvent, me sourient, font quelques pas vers la sortie…et se retournent vers moi :« Monsieur, merci bien »
« Merci pourquoi ?» Et tous deux, comme un seul homme, les doigts sur leurs yeux tuméfiés : « Merci pour ça ! ». J’en ai conclu que ces deux là, étaient les deux frivoles, qui s’exhibaient, il y a maintenant un mois à la piscine ; Mamou avait déposé plainte le lendemain lundi matin au commissariat de police. Le commissaire, avait convoqué le parrain des libanais. Ce qui avait profondément affecté leur communauté. Ils avaient réglé leurs comptes avec les libertins aux yeux noirs (et les libertines ?)…Et je devais comprendre un peu plus tard, que le Parrain voulait en savoir un peu plus sur moi .
Mais revenons au lundi matin. Une fois mamu sortie, je m’allonge sur le matelas pour prolonger un peu la nuit. Je suis alors seul à la maison…do moins le croyais-je. Quelle n’est pas ma surprise de voir s’asseoir à mes côtés, la douce “mama“, la bonne de la maison, bien propre et bien maquillée, qui prend place auprès de moi, et engage la conversation…d’un air engageant. Instantanément je flaire une machination montée à mon encontre.
Je m’excuse auprès d’elle, qui dépitée essaye de me retenir en me proposant de venir m’asseoir à côté d’elle sur le matelas.
Au contraire, j’ouvre la porte et sorts de la maison. En refermant derrière moi le portail du jardin, je surprends dans la rue, planqué derrière la clôture, un sénégalais en costard-cravate, avec un appareil photo à la main, et en bonne position pour photographier l’intérieur de la maison : donc le matelas sur lequel étaient projetées mes ébats avec la bonne. Surpris, il dégage et s’éloigne rapidement. Pour moi c’est un coup monté par le commissaire du quartier pour me compromettre. Un coup où Mamu et la bonne ont joué leur rôle…
Il y a quelques jours au Kermel, on vit apparaître Olivier, un demi-sénégalais qui ne ressemblait pas aux autres ; il était tout blanc, mais avec des traits négroïdes. Il avait tout vu, tout lu et tout entendu. En particulier, il avait fait le Paris Dakar. Un jour que nous en parlions ensemble, et notamment des dégâts causés sur les pistes par la meute roulante, il se plaignait volontiers de ces abrutis de noirs, qui traînaient parfois au milieu de la piste, et affirmait que s’il en voyait un, il le percuterait sans l’ombre d’un regret. Je comprenais qu’Olivier était un mec particulier.
Le lendemain il m’invitait à un repas du Lyons-Club au restaurant de l’hôtel de l’indépendance. Le président du Lyons n’était autre que le Parrain des libanais. Parmi les membres présents, pas mal de libanos. Parmi les invités il y avait aussi, un grand sénégalais bien baraqué que je reconnaissais. C’était le commissaire de police de mon quartier. Et au moment de la photo de notre groupe, après le café et le pousse café, on me plaçait juste à coté de lui !
Dans les jours qui suivent, je reconnais à plusieurs reprises, un des convives, un motard qui paraît me suivre… Sa tactique est la suivante, il me repère, me double et comme la circulation à Dakar est lente, il a le temps de se positionner plus avant à l’arrêt, d’enlever son casque, de rester debout à coté de sa moto, pour pouvoir lorsque je passe au volant de ma voiture, me faire un large sourire, et me suivre des yeux et de la tête. Je ne peux pas ne pas le voir, et en particulier, ce matin le jour de mon départ pour Paris, il me fait trois fois le coup, le long de la VDN (voie de dégagement Nord). Le téléphone sonne, c’est Koura, que j’avais, quelques jours avant, mise au courant de mon voyage en France ; elle m’appelle pour me supplier de passer la voir, pour la dernière fois peut être, souligne-t-elle. Je lui indique que je n’ai pas le temps. Mais son dernier argument finit par me convaincre : Je ne peux pas la quitter sans lui dire au revoir ! Je passe en coup de vent, lui explique que je n’ai pas d’argent à lui donner, je lui fais la bise et me rue sur mon cheval mécanique, vers l’agence UTA pour y différer mon heure de départ. « Impossible ! » me dit le Directeur, « Et d’ailleurs vous feriez bien de vous dépêcher, l’enregistrement pour votre vol ne devrait pas tarder à ouvrir ». Sinon vous perdez votre billet sans remboursement possible !
Il ne me reste que deux heures, pour retourner à la maison, faire ma valise, garer la voiture de mon fils, passer au Kermel pour demander à Jean Pierre de me prêter du blé, aller à la banque pour changer les CFA en Euros. Et prendre un taxi pour l’aéroport de Yoff. Tout ça à une allure de tortue, dans la circulation de Dakar. Me voilà maintenant au Kermel, expliquant mon cas à Jean-Pierre. Il envoie son boy de confiance, chercher du liquide au DAB et il me prête aimablement deux cent cinquante milles CFA. Il me tend la liasse, en espérant me revoir bientôt et nous nous effusons comme s’effusent deux amis sincères, l’un qui reste , l’autre qui part, et que la vie sépare.
Il me faut encore passer à la banque pour y faire le change des CFA en euros. Là je n’ai pas vraiment compris ce qu’il s’est passé. Au moment où j’arrive, un sénégalais est en train de changer une énorme liasse de billets CFA. Ça prend bien une demie heure. Il me faut donc attendre, mais mon tour arrivé, un autre sénégalais, se pointe avec une liasse identique à la précédente. La caissière m’intime d’attendre encore, car ce monsieur avait pris rendez vous. Je rouspète, j’explique mon cas….le temps s’écoule. Finalement la patronne arrive et m’engueule, m’intime d’attendre, mais ne s’occupe même pas de moi.
Le temps passe, rien ne se passe, je quitte la banque en maudissant les banquiers, et piaffant d’impatience je trouve enfin un taxi. Arrivé à l’aéroport, les guichets d’enregistrement sont fermés. Désemparé, j’ erre quelques minutes, lorsque un vieux monsieur surgi de nulle part, me demande si je prends le vol pour Paris ? “Oui, bien sûr“ – “Êtes-vous Monsieur Meyer ?“ – “Oui, bien sûr“. « Vous êtes très en retard, l’avion vous attend depuis un bon moment, suivez-moi». Il se saisit du formulaire d’embarquement, le remplit à ma place et sort de sa poche une carte d’embarquement libellée à mon nom. Et il me fait passer sans embrouille, les formalités de police, de douane, et d’embarquement à toute allure car il est manifestement connu des policiers et des douaniers. Il m’escorte jusqu’à la coupée de l’avion.
« Au revoir M. Meyer, bon voyage ». “ Au revoir et merci beaucoup pour votre efficacité “.
Opération Serval
L’opération lancée par François Hollande le 11 Janvier 2013, la traque des islamistes pour sécuriser Bamako, capitale du Mali
Les pilotes de l’opération Serval sont basés à Dakar, et dorment la nuit à l’hôtel Continental à Ngor. Chaque jour ils font l’aller, retour au dessus du Mali, pour participer à la traque des terroristes et de Daesh.